Malgré près de cent partis, le jeu réel se déploie dans la rue et sur le terrain strictement politique. Oui, c'est la rue qui fait la politique et celle-ci s'en retrouve d'autant plus libérée qu'elle ne subit pas les intrigues florentines de la Constituante, ni l'arrogance de la Kasbah et encore moins, les fameuses senteurs et saveurs de Carthage. La vraie bipolarisation est en dehors du jeu des partis qui se ravisent de s'assembler sans forcément se ressembler. Elle est dans la société civile même si les sociologues restent indécis quant aux contours « temporo-spatiaux » de cette notion. Car la société civile est plutôt assimilée – à tort bien sûr – aux adeptes de la laïcité, aux défenseurs d'une Constitution qui ne s'inspire pas que de la seule Chariaâ. Là, entre parenthèses, le discours charrie beaucoup de subjectivité : la Constitution de 59 s'est bien inspirée de la Chariaâ et ce sont de grands « Ulémas » (nous les avions, Cheikh Rached) qui ont conclu à la cohérence islamique de la monogamie. Mais, il n'est pas dit que, parmi ceux qui ont manifesté hier, il ne se trouve pas des Nahdhaouis ou des Nahdhaouies, pas vraiment d'accord avec la teneur religieuse que veut conférer Ennahdha à la deuxième République. Le parti de Rached Ghannouchi a, décidément, quelque chose de romain, de belliqueux aussi : « Vini, vidi, vici ». Il est dans le combat, dans la révolution permanente au sens trotskiste du terme (vous voyez que communisme et religion finissent par se rejoindre) et lorsqu'il déploie ses troupes dans la rue, c'est bien son fleuron Hamadi Jebali qu'elle met sous pression. Car, hormis quelques dérapages verbaux (les déclarations malvenues puis démenties du ministre du Transport et de Lotfi Zitoun, quant à un fantasmatique coup d'Etat), au bout de cent jours, le gouvernement Jebali est, certes, encore en train d'apprendre le métier, mais est animé de bonnes intentions socio-économiques pour le pays. Mais attention : s'il s'est décidé à faire très peu de politique pour mieux s'occuper des dossiers vitaux du pays, ce n'est pas pour la laisser aux seuls Cheikh Rached et Moncef Marzouki, duo d'une cacophonie dissonante. En fait, ils mettent les bâtons dans les roues à Jebali, tandis que la Constituante, à l'image de son président, est dans la béatitude du sommeil du juste.