Elle faisait mal à voir cette Espérance, timorée, banalisée et comme vidée de sa substance, au Caire. Est-ce possible de prétendre aimer son club et de lui faire autant de mal ? Elle n'a jamais été aussi bas. Même la Juventus, belle « Vieille Dame », comme elle, gardait toute sa dignité, tout son charisme au moment où elle allait en division II... Elle restait droite, altière, comme ces impératrices, ces reines ou ces princesses déchues... Mais, le privilège de rester digne, on l'a refusé à la Ç Vieille Dame È de chez nous. Même les Cairotes avaient, à l'évidence, de la compassion pour ce club, dont la seule évocation de son nom faisait frémir les rives du Nil. Les Ahlaouis auront joué mécaniquement, nonchalamment, tout simplement parce que l'enjeu, cet enjeu de toujours, la passion des affrontements de choc entre Tunisiens et Egyptiens, la rivalité poussée jusqu'au délire... parce que, justement, toutes ces composantes n'y étaient pas... Et nous devons aux trois principaux dirigeants espérantistes, - et finalement, les trois seuls dirigeants - le courage d'avoir fait de l'arrivée de l'Espérance au Caire un non-événement et d'avoir réussi à mettre sur pied une équipe de pacotille.
Déjà, nous traînions encore les séquelles de la dernière CAN égyptienne que M.Lemerre a négociée comme dans un laboratoire à l'Institut Pasteur : tests, contre-tests, recherchant des remèdes à des pathologies qui n'existaient pas. Nous étions, en l'occurrence, frustrés de voir l'Egypte triompher. Mais l'Egypte se moquait d'être championne d'Afrique. Pour elle, l'essentiel c'est d'être mieux que nous. Nous avons failli renverser la vapeur, grâce au Club Sfaxien face à ce même Al Ahly, mais on se souvient encore de ces quatre minutes cauchemardesques de Radès et des yeux exhorbités de Mrad Mahjoub. Et voilà que l'ascendant égyptien est conforté par l'Espérance !
Mais cette fois c'est différent. Si Lemerre a jugé que nous devions prendre la CAN égyptienne d'en haut, et si (pour le cas du CSS), Mrad Mahjoub ne savait pas quoi faire pour contrer Abou Trika et Flavio, eh bien, avant-hier, il n'y avait aucun reproche à adresser aux joueurs, pas plus qu'on ne pouvait demander davantage à Larbi Zouaoui (formateur et pas entraîneur) et Ali Ben Néji (qui a encore du chemin à faire).
Non, il faut remonter jusqu'au sommet de la hiérarchie et, pour une fois, tout est dans la face émergée de l'Iceberg. Le courage est la moindre des choses : cela fait, au moins, la cinquième, sixième fois, que nous le rappelons à ces dirigeants en proie à des lubies, résolument déterminés à ne pas faire leur mea culpa , ni à faire amende honorable.
Sommes-nous dans la fibre affective ou dans le jeu d'intérêts ? Sommes-nous dans une vision éthique, large, transversale de l'Espérance, ou dans la fantasmagorie et les conflits de personnes et les clivages ?
Aujourd'hui, on spécule sur le départ du président actuel. Lui, il va chercher ses persécuteurs, là où ils n'existent pas, s'il ne se les invente pas carrément. Sauf que ce genre de raisonnement débouche inévitablement sur la personnification de l'Espérance. Et là, les Espérantistes ne sortiraient pas de l'auberge. Avec le départ de Slim Chiboub, une page de l'histoire de l'Espérance était tournée. C'était la fin d'une gestion oligarchique, personnifiée - tout comme à Sousse avec Jenayeh - parce que le gigantisme est toujours le fait d'une personne au-dessus des structures. Mais, au-delà d'un certain cycle, ce système finit par broyer les structures justement... Le président actuel avait une chance inouïe et aurait eu un rôle déterminant dans une véritable restructuration du club, sa réinstitutionalisation - parce que de toutes les manières, il n'a pas les moyens de faire autrement... Et, qu'a-t-il fait ? Il a déraciné jusqu'à la dernière herbe foulée par son prédécesseur au parc B... Jusqu'à vider le club, l'équipe... jusqu'à la banaliser, avec des joueurs bons pour le milieu du tableau et ce manège d'entraîneurs à vous donner le vertige... Et, tout cela pour les beaux yeux de qui ?
L'Espérance s'en remettra. Des crises, elle en a connu. Elle a la peau dure... Mais elle ne pardonne pas. Et déjà, elle a un regard sévère. Effrayant.