De notre crorrespondant permanent à Paris: Zine Elabidine Hamda A moins d'une semaine du second tour et à la veille d'un débat Sarkozy Hollande tant attendu, le candidat-président a donné un nouveau tournant anti-européen à sa campagne. A Toulouse, Nicolas Sarkozy a prononcé dimanche, durant plus d'une heure, un long plaidoyer pour la Nation et les frontières, reprenant les thématiques du Front national dont les électeurs (6.400.000) restent dans sa ligne de mire. Jusqu'ici, la campagne n'a pas abordé les questions internationales, et encore moins les questions européennes, mise à part la volonté exprimée de François Hollande de renégocier le dernier traité budgétaire européen et de lui adjoindre un volet croissance. Voilà que l'Europe s'invite à la campagne par la mauvaise porte. Mise devant ses « responsabilités » par le candidat socialiste qui a répété, depuis de longues semaines, que le traité budgétaire était insuffisant et qu'il allait le renégocier, l'Europe s'est, un moment, rebiffée sous la conduite de l'Allemagne qui a fait savoir qu'il n'était pas question de renégocier le traité. Décriée par le candidat de droite pour n'avoir pas su « protéger » les Français, l'Europe revient au centre de la stratégie sarkozyste. Il attend « que l'Europe protège les peuples européens, protège la civilisation européenne.» En d'autres termes, qu'elle protège le modèle social français. Alors que la majorité des Etats de l'Union se sont engagés dans la mondialisation, axant leur modèle sur la libéralisation du système économique et social, et ce depuis Margareth Thatcher, les politiques françaises de droite comme de gauche ont toujours décidé de maintenir le modèle social français qui « protège » et de gérer les conséquences de son déficit. La lepénisation de la campagne du candidat-président a pris une tournure anti-européenne prononcée qui inquiète même au sein de sa majorité sortante. «J'ai levé le tabou des frontières», a lancé Nicolas Sarkozy à Toulouse, comme pour justifier l'audace de ses propos. Il est cependant à préciser que ce thème ne concerne pas uniquement, dans son discours, l'immigration. Il s'étend aussi à la fiscalité, au travail, aux marchés et aux finances que Sarkozy fustige dans un amalgame populiste qui mêle la critique légitime des insuffisances du système aux exigences de la gestion responsable de la part d'un président de la République. Devant plus de 10.000 personnes, Sarkozy place sa campagne dans la lignée de celles de 1995 et de 2007 : «En 95 c'était la fracture sociale, en 2007 c'était le travail. En 2012, le sujet majeur, ce sont les frontières.» En plaçant les frontières au centre de son discours, il s'adresse une nouvelle fois aux électeurs du Front national. Mais il risque par-là, dans la perspective de sa réélection de déboucher sur une crise européenne. A moins que ce choix stratégique ne soit pris, comme pour les thèmes précédents, pour un slogan de campagne, délaissé aussitôt que le candidat est élu. « La fracture sociale » de Jacques Chirac et le « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy ont eu les résultats que l'on sait. La Nation contre l'Europe Sarkozy pose la Nation contre l'Europe. «Je ne veux pas laisser la France se diluer dans la mondialisation, voilà le message central du premier tour», a-t-il affirmé. «L'Europe a trop laissé s'affaiblir la Nation (...) Les pays qui gagnent aujourd'hui, c'est les pays qui croient dans l'esprit national», a-t-il lancé. Après avoir fustigé la porte ouverte « aux communautés et aux tribus », Sarkozy marque sa différence : «Sans frontière, il n'y a pas de Nation, il n'y a pas d'Etat, il n'y a pas de République, il n'y a pas de civilisation.» Il va même jusqu'à tourner le dos à l'idée de république laïque, fondement incontournable de l'Etat français, quand il évoque la chrétienté de la France : «Ce pays s'est construit autour des rois et des églises», a-t-il martelé à Toulouse. En recentrant sa campagne sur « les frontières », il rejoint la thématique privilégiée du « Front » national et marque avec François Hollande une ligne de clivage nouvelle. Car la droite républicaine a toujours privilégié les valeurs républicaines et la construction de l'Europe à la dérive nationaliste. Cette fois-ci, l'attitude du président sortant va plus loin. Il décide seul, sans concertation avec ses partenaires nationaux et européens et les met ainsi devant le fait accompli. Renouvelant sa menace de sortir de l'espace Schengen si ses requêtes ne sont pas entendues par ses partenaires européens, Sarkozy risque d'engager la construction européenne dans une impasse d'autant plus que le modèle mondialisé et libéral nécessite l'abandon des frontières. «Je n'accepterai pas qu'il n'y ait plus aucune différence entre être français et ne pas l'être.» C'est le nouveau crédo sarkozyste. La politique de l'identité nationale a été affirmée dès son élection en 2007. Le grand débat organisé, mal mené car orienté contre l'islam, n'a débouché sur rien. Le score du premier tour oblige le candidat à remettre cette question sur le gril des élections. S'il le fait en adoptant les mots de la droite extrême, c'est pour chasser les voix du Front national indispensables à sa réélection. Son adversaire socialiste, lui aussi, a besoin des voix de l'extrême droite pour gagner. Il s'est adressé cependant à eux en gardant ses 60 propositions inchangées. Il considère les partisans de Marine Le Pen comme des électeurs déçus, susceptibles de ne pas donner leurs voix à Sarkozy. Cette attitude de François Hollande semble avoir eu un effet au niveau européen. Même si du côté britannique la méfiance à l'égard de son projet fiscal reste de mise, l'Allemagne semble assouplir sa position. Elle prend, de plus en plus, en considération la possibilité d'une défaite de Sarkozy. Angela Meckel vient de faire un geste en direction du candidat socialiste en parlant d'un « agenda de croissance », reprenant ainsi la revendication du candidat d'adjoindre un volet croissance au traité sur le budget. Le Président du Conseil européen, Herman Van Rumpoy, avait même annoncé l'élaboration d'un plan européen de croissance, décision confirmée par le Président de la banque centrale Européenne, Mario Draghi. Tout semble indiquer que l'Europe préfèrerait négocier sur un projet en cours d'adoption que remettre à plat les fondamentaux de sa construction. Le dernier sondage Ipsos donnant Hollande gagnant avec 53% des voix confirme l'impasse dans laquelle s'est mis le candidat Sarkozy puisque la droitisation de son discours n'a eu aucun effet notable sur les voix du centre, indispensables à sa réélection. Le débat du 2 mai va-t-il changer cette tendance ? Beaucoup à droite l'espèrent même si, au niveau des ministères, les conseillers et collaborateurs ont commencé à préparer leurs valises dans la perspective d'une défaite annoncée.