Les rencontres cinématographiques de Béjaia ont fêté cette année leur dixième anniversaire. Ce festival fondé à l'initiative de l'association Project'heurts a réinvesti cette année la cinémathèque de la Place Guesdon fermée depuis quelques années pour des travaux qui n'en finissaient plus. Pour qui ne connaît pas Béjaia, la Place Guesdon offre un point de vue unique sur le Port de cette ville élue par les Dieux pour être un des plus beaux sites d'Algérie. Si Béjaia est grande par son Histoire et le dynamisme de sa jeunesse, elle reste malaimée du pouvoir central. Ville frondeuse et laïque, Béjaia a depuis toujours farouchement défendu son particularisme kabyle. Qu'un petit festival lancé à l'initiative d'un Ciné-club de la ville, réussisse la gageure de tenir pendant dix sessions tout en préservant son indépendance relève d'un exploit auquel il y a lieu de rendre hommage. Confrontées à l'obstructionnisme des autorités, aux tentatives de récupération, au manque de moyens, les rencontres de Béjaia ont su faire fi de l'adversité et aller de l'avant malgré tout pour l'amour du cinéma.
De la légitimité de la représentation filmée
Les hommages rendus à Merzak Allouache, avec la programmation de ses deux derniers films, « Normal » et « Le repenti » (présenté à Cannes dans la quinzaine des Réalisateurs) et à Rabah Ameur- Zaimeche avec la présentation de l'intégrale de son œuvre, dénotent de la volonté du festival de jeter des ponts entre les cinématographies des deux rives de la Méditerranée. Si Merzak vit aujourd'hui en France, l'Algérie est restée au cœur du cinéma de ce réalisateur très prolifique. Le cas Zaimeche est différent, issu de l'émigration, ce cinéaste a réussi à travers ses trois premiers films à construire une œuvre originale où se pose la question de l'appartenance et du rapport toujours problématique au pays où il est né. La question de la nature du regard porté sur l'Algérie d'aujourd'hui et surtout de la légitimité de celui qui le porte est récurrente depuis quelques années dans les débats à Béjaia et au-delà sur les colonnes des journaux algériens. A l'instar de Tarak Téguia, et de Zaimeche, il y a quelques années, Merzak a eu droit à une diatribe mettant en cause son cinéma « exotisant » et « acculturé ». Que le « Repenti » dernier opus de l'auteur relève de l'exotisme a de quoi étonner. Ce film sobre et pudique qui revient sur la décennie noire à travers l'histoire d'un djihadiste repenti et d'un couple défait par le drame de la disparition de sa petite fille enlevée par les terroristes islamistes peut être critiquable dans ses partis-pris de scénarisation et ses ruptures de tonalité a pour principal mérite d'avoir trouvé la juste distance dans l'appréhension de la tragédie vécue par tout un peuple. Prendre ce film pour prétexte à une attaque en règle contre l'intégrité du réalisateur indique quelque chose de plus profond qu'un discours nationaliste étriqué tente de promouvoir dans certaines sphères de la critique d'art. En vertu de ce discours, tout réalisateur algérien vivant et/ou exerçant en France serait d'emblée frappé d'illégitimité dès qu'il est question de porter un regard sur l'Algérie. Au fondement de cet opprobre, la propension chez ces cinéastes de l'émigration à déformer une réalité algérienne dont ils seraient déconnectés et dont ils ne souligneraient que les aspects négatifs. Seul un cinéaste de l'intérieur dont l'algérianité serait « intégrale » et « non polluée » serait à même selon les tenants de ce discours à présenter « une image vraie » de l'Algérie. Il va de soi que ce discours est irrecevable, personne n'étant en droit de distribuer des certificats de patriotisme. Plus, ils tendent à imposer une vision uniformisante d'un art pluriel par essence. Si certains cinéastes des deux rives se sont conformés à des cahiers de charge occidentaux dans le but de réaliser leurs films, il n'est aucunement permis de généraliser en décrétant le déni d'algérianité à tout venant. (A suivre)