Sofiene Hemissi dément toute attaque informatique contre la Poste    La coalition "Soumoud" lance une initiative pour un nouveau pacte politique en Tunisie    Une réforme urgente du système de santé est obligatoire    Latifa Arfaoui à Carthage : une annonce qui fait des vagues    Lutte contre l'occupation illégale : 10 personnes recherchées arrêtées à Bizerte    Nafaâ Laribi dénonce des « contre-vérités » sur l'état de santé d'Abir Moussi    Volley – Mondial U19 : la Tunisie s'incline face à la Belgique    L'entité sioniste frappe 130 sites à Gaza et tue au moins 33 personnes    Déclaration de devises à distance : une nouvelle application douanière pour les Tunisiens de l'étranger    Tunisie : création d'une commission nationale pour le programme "L'Homme et la Biosphère"    Session de contrôle du bac 2025 : Ouverture des inscriptions au service SMS    Mercato : Ibrahima Keita rejoint l'Espérance Sportive de Tunis    Récolte des céréales 2025 : plus de 9,2 millions de quintaux collectés à l'échelle nationale    "Stop au génocide" : mobilisation pro-palestinienne à Stockholm    La Chine impose des restrictions sur les importations d'équipements médicaux en provenance de l'UE    Annulation de la grève générale à la Compagnie des Phosphates de Gafsa    Chaleur en hausse : jusqu'à 41°C attendus    Elon Musk claque la porte de Trump et lance son propre parti    En photo : première sortie médiatique d'Adel Imam après plusieurs années d'absence    Tunisie : Entrée gratuite aux musées et sites archéologiques ce dimanche    Elon Musk annonce la création de sa formation politique, "le parti de l'Amérique"    Faouzi Ben Abderrahman fustige « l'immobilisme bavard » face à la crise de Tunisair    Espérance : Aucun accord avec Al-Ahly pour un match amical    En Tunisie : les prix des huiles chutent, les légumes flambent !    Un monde où tout est confisqué : l'argent, la dignité, la foi    Le ministère du Transport limoge et remplace pour relancer Tunisair    Construction sans permis : des élus proposent des amendes allant jusqu'à 700 dinars le m2    Béja : Alerte sur la consommation de certaines sources naturelles    Révision du Code des collectivités locales en préparation, selon le ministère de l'Intérieur    Nouvelle vague de répression en Turquie : des maires du principal parti d'opposition arrêtés    Non-lieu en faveur de l'ex-ministre Samir Saïed    Nabeul envahie par la cochenille : « même nos maisons sont touchées »    Découvrez la programmation complète du Festival de Bizerte 2025    Cessez-le-feu à Gaza : le Hamas prêt à discuter d'une trêve supervisée par Washington    Décès de Chawki Gaddes : Un juriste au cœur de la transition dès l'aube de 2011 et un pionnier de la protection des données personnelles    Tunisie Telecom et l'Etoile Sportive du Sahel renouent leur partenariat stratégique autour de la marque Etoile Mobile    Entrée gratuite aux musées tunisiens et sites historiques de Tunisie ce dimanche    Décès de Hamadi Hachicha : un grand pionnier des assurances en Tunisie    Les portes de l'enfer s'ouvrent au paradis : De l'épître du pardon d'Al- Ma'arrî, de la divine comédie de Dante    Festival de Hammamet : tolérance zéro contre la revente illégale    Où étudier en France en 2025 ? Le top des villes pour les étudiants tunisiens    Diogo Jota est mort : choc dans le monde du football    Sidi Bou Saïd : vers un plan national pour prévenir les glissements de terrain    Tournoi scolaire de football 2025 : l'école primaire Al Mansourah à Kairouan remporte la finale nationale    Il ne fait rien... et pourtant il est payé : le métier le plus déroutant du monde    Vient de paraître - Paix en Palestine: Analyse du conflit israélo-palestinien de Mohamed Nafti    Wimbledon : Ons Jabeur contrainte à l'abandon après un malaise sur le court    Wimbledon 2025 : Ons Jabeur face à Viktoriya Tomova au premier tour    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



La peur pour l'avenir de l'art en Tunisie est irraisonnée...
Entretien avec Khélil Gouiâ, universitaire et spécialiste en arts plastiques
Publié dans Le Temps le 26 - 06 - 2012

Depuis les événements tragiques survenus au Palais El Abdellia à la Marsa qui fut l'objet le 10 juin courant, d'une agression perpétrée par des individus d'obédience salafiste qui ont mal interprété certaines œuvres exposées par des artistes tunisiens et ont crié au sacrilège en les taxant d'impies et leurs auteurs de mécréants ; un incident qui fait encore couler beaucoup d'encre et suscite beaucoup de controverses parmi les artistes et les critiques d'art en Tunisie.
Pour jeter davantage de lumière sur cette affaire, nous avons rencontré Khélil Gouiâ, universitaire et spécialiste en sciences et techniques des arts plastiques, chargé de mission auprès du Ministère de la Culture, qui nous a accordé cet entretien :

Le Temps : ce qui s'est passé au Palais El Abdellia est un événement sans précédent dans la vie artistique en Tunisie, qui émane d'une certaine méconnaissance du domaine de l'art. Qu'en dites-vous ?

Khélil Gouiâ : laissez-moi d'abord définir certains concepts pour pouvoir comprendre ce qui s'est passé à El Abdellia. Il faut savoir, qu'en Tunisie, il y a eu un passage de l'art moderne à l'art contemporain et chacun constitue un monde à part. L'art moderne englobe la période qui s'étend de la Renaissance jusqu'au 19ème siècle et atteint son apogée avec les philosophes des lumières au 18ème siècle. L'art moderne ne rompt pas totalement avec l'art classique dans la mesure où il continue à se baser sur le dessin et les couleurs : « le dessin donne forme aux êtres, la couleur leur donne vie », disait Diderot. L'art moderne vient ajouter la dimension subjective, impressionniste, notamment avec Claude Monet, en 1873, avec son tableau « Soleil levant », ce qui engendre le flou artistique, si bien que l'attention n'est plus attirée sur les détails de l'œuvre autant que sur les techniques et les démarches adoptées par l'artiste. Peu à peu, l'impressionnisme tend vers l'abstrait, alors que le tableau perd de ses aspects naturels, pour donner naissance à de nouvelles tendances artistiques, comme le cubisme avec Picasso et Georges Braque. Il faut attendre le début du 20ème siècle pour que le concept de l'art prenne d'autres dimensions et donne naissance à l'art contemporain, notamment avec Marcel Duchamp : c'est la rupture avec les anciens cadres et techniques de l'art moderne ; l'œuvre n'est plus forcément un objet précis construit par l'artiste selon des règles établies, mais peut être une installation, un objet banal, usé qu'on récupère pour en faire un objet d'art. On assiste alors à une période d'intense créativité et à une multiplication de mouvements artistiques qui veulent révolutionner les pratiques.

* Donc, avec l'art contemporain il y a le rejet total des conventions du passé et la recherche de nouvelles voies qui seraient plus adaptées au monde dans lequel on vit. Peut-on dire que les œuvres exposées à El Abdellia relèvent de l'art contemporain ?

- Du moment que l'art contemporain est considéré comme une réaction contre la société de consommation et l'aliénation de l'homme moderne, il va de soi qu'il s'érige comme un art de protestation contre les phénomènes sociaux, les régimes politiques, mettant en question certaines valeurs morales de la société, usant de d'humour, d'ironie, de refus et de condamnation des choses de la vie. C'est donc la critique qui l'emporte sur l'esthétique. De là, on comprend le message que portent certains tableaux exposés à Abdellia, qui ont fait l'objet de diverses interprétations, à tort ou à raison, de la part de certaines gens, non initiées au monde des arts, encore moins l'art contemporain. Et ce qui est paradoxal, ces gens ne se sont pas rendus à El Abdellia pour s'enquérir directement de la tenue de ces tableaux pour en juger en connaissance de cause, mais ils se sont contentés des images parues sur Facebook pour en faire tout ce tapage.

En Tunisie, le public est habitué à l'art moderne et ses règles générales où l'intérêt du consommateur de l'art est porté surtout sur le côté esthétique sans mettre en cause ni l'œuvre ni son créateur, comme le signale cette boutade : sois peintre et tais-toi ! Avec l'art contemporain, on assiste à différentes transgressions (de l'ordre établi, des règles, des interdits...), comme ce fut le cas de l'exposition d'El Abdellia où certains œuvres, jugées par ignorance ou inadvertance, comme une violation des choses sacrées de l'Islam, prêtent d'ailleurs à maintes interprétations, souvent totalement différentes de celles voulues par l'artiste. D'où les divergences et la polémique qui s'en suivent. Pourtant Picasso disait que la peinture n'était pas un moyen de décoration sur les murs des appartements et des musées, mais c'est une lutte pour la vie et la liberté ! Cette idée de liberté s'est développée progressivement dans l'art contemporain en impliquant le public qui devient une partie prenante et active dans l'œuvre d'art.

*Comment doit-on donc regarder les œuvres d'art contemporain?

- Le problème majeur vient du fait que nous ne sommes pas suffisamment familiarisés avec l'art contemporain. Pourtant, ça fait dix ans que ce genre d'art est exposé au Palais El Abdellia ! Je pense, personnellement, que la faute incombe au commissaire chargé de l'organisation de l'exposition qui n'a pas associé cette manifestation à une campagne d'information et de sensibilisation auprès du public, quitte à organiser des conférences-débats et des tables rondes précédemment ou parallèlement à cette manifestation artistique afin d'éclairer les gens sur les principes et les visées de l'art contemporain qui n'est pas censé rendre seulement le beau, mais cherche à déstabiliser et faire réfléchir sur les phénomènes de la société. Ceci étant, le visiteur n'est plus choqué ou bousculé dans ses idées ou ses croyances. En se rendant à une exposition d'art contemporain, on doit mettre de côté ses préjugés et accepter d'être surpris et vivre l'événement avec toutes ses sensations visuelles, tactiles, olfactives, auditives... Passant de l'esthétique à la problématique, l'œuvre d'art est source de réactions diverses et de multiples interprétations.

* Après l'incident du palais El Abdellia, peut-on parler d'une rupture avec l'art et les artistes en Tunisie ?

- Il ne s'agit pas de rupture, mais disons que cet événement a créé un tournant dans l'histoire de la culture tunisienne, en ce sens que des intrus, n'ayant aucun rapport avec l'art, envahissent l'espace d'art sous prétexte qu'il abritait des tableaux diffamatoires et nuisibles aux choses sacrées de l'Islam. Cela revient sans doute à une méconnaissance de l'art contemporain de la part de ces individus. Cela est d'autant plus grave que la majorité de ces gens s'érigent en critiques d'art qui émettent leur jugement à travers des images publiées sur la toile, comme si les réseaux sociaux étaient des sources d'information dignes de foi ! Pourtant, il n'y a que trois œuvres sujettes à caution parmi les 180 travaux exposés et que les tableaux incriminés diffusés sur Facebook, devenu la seule référence, ne sont pas tous exposés à El Abdellia, ce qui s'avère par la suite être une provocation à l'encontre des artistes, comme si on voulait faire assumer à l'art et aux artistes toute la responsabilité des problèmes dont souffre la société, en attribuant à l'art des dimensions méta esthétiques ! On déplore cependant cette attitude violente envers l'art et les artistes et cette agression sauvage contre la galerie, quand bien même il y aurait d'autres moyens pacifiques pour se manifester ou contester ! Juger des œuvres artistiques via Facebook est un acte virtuel qui nuit à la création artistique. Pour bien comprendre et apprécier une œuvre d'art, il faudrait bien la voir en face, dans la réalité, d'autant plus que l'art contemporain est un art poly sensoriel qui fait appel à tous les sens. Bref, la peur pour l'avenir de l'art en Tunisie est irraisonnée et la liberté d'expression et de créativité sera toujours assurée et défendue.

Propos recueillis par : Hechmi KHALLADI


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.