Les crises se succèdent et se ressemblent, car elles ont pour point de départ l'instabilité à tous les niveaux. Il fut un temps où les Tunisiennes et les Tunisiens étouffaient sous le poids de l'omnipotence de l'Etat verrouillé d'où ce refuge vers le « parallèle » qui permettait à chacun de circonscrire le verrouillage artificiel de la « nomenclatura » et atteindre enfin le fil d'Arianne après avoir évité toutes les trappes mafieuses du labyrinthe.
C'était la situation du « Plus-d'Etat », un surplus d'autorité qui s'est traduit au niveau politique par un «sur-pouvoir » et la confiscation de l'Etat, lui-même et son économie par une centaine de familles.
La Révolution a été le point de rupture de ce système basé essentiellement sur l'enrichissement sans causes légitimes et les privilèges, avec tous les débordements prévisibles de la fermentation révolutionnaire.
Puis vint la première transition du gouvernement Caïd Essebsi qui a mis la « Rue » sous contrôle relatif avec une mise en œuvre non négligeable d'un plan de relance économique et social et l'appel pressant à la coopération internationale pour accompagner et appuyer la relance de l'investissement et l'aide à la Tunisie.
La mobilisation des amis et sympathisants traditionnels et de toujours de notre pays et ils sont aussi nombreux que diversifiés et vont de l'Occident, à la Russie à la Chine, en passant par nos frères d'Orient, a été un modèle du genre. La Révolution catalysait et dopait tous nos partenaires, les uns pour se faire « pardonner » leur soutien à la dictature de Ben Ali, les autres enthousiasmés par ce « petit » peuple de Carthage et de Kairouan, parti de rien, pour réaliser l'un des plus grands défi de l'humanité : Réconcilier les pays arabes et les pays d'Islam avec la liberté et la démocratie.
Le G20, l'Amérique d'Obama, la France, l'Allemagne, le Japon... et la Chine, déroulèrent le tapis rouge aux représentants de notre peuple à tous les niveaux.
Les promesses étaient presque surréalistes et incroyables et les chiffres annonçaient quelque 25 milliards de dollars d'aide et de crédits sur cinq ans dont cinq mobilisables au cours des trois premières années (2012-2015).
Cerise sur le gâteau, la Tunisie allait « droit au but », vers une démocratie aux normes universelles irréversibles. Des élections eurent lieu pour convoquer une constituante avec un premier examen réussi avec la mention « Très bien » puisqu'il y a eu déjà une alternance pacifique au pouvoir et MM. Foued Mbazaâ et Caïd Essebsi ont remis les clefs de « Carthage » et de la « Kasbah » à leurs nouveaux locataires sans casser un verre ! La Tunisie était sur un nuage, de bonheur et d'espoir et toute la terre retenait son souffle :
Ces Berbères de l'ancienne Numidie, ces phéniciens exilés du Liban, ces Romains de la pro-consulaire, ces Arabes Hilaliens et ces Musulmans des steppes, un peu à part et très attachés à une perception spécifique de l'Islam tolérant et réformiste... toute cette biologie en laboratoire... allait –elle enfin accouher d'un miracle ! d'une démocratie véritable aux normes universelles avec une séparation effective des pouvoirs.
Un Etat de droit, un respect sans équivoque du droit humain et surtout l'alternance pacifique au pouvoir !
Mais la joie du rêve qu'on croyait réalité a été de courte durée.
L'éphémère finit par engloutir les valeurs originales de cette Révolution magnifique. C'est un véritable détournement de valeurs.
D'abord, les rivalités pour s'octroyer des charges « positionnelles » qui peuvent être la clef d'un futur contrôle de l'Etat et permettront la « re-naissance » du système Parti-Etat comme au bon vieux temps. Puis, l'activation des lubrifiants et des vecteurs idéologiques pour accélérer l'Islamisation de l'Etat et le contrôle social cette fois par la religiosité excessive et militante.
Enfin, la déperdition progressive de l'autorité de l'Etat avec l'improvisation au cas par cas, au jour le jour, aidée en cela par l'exigence de plus en plus exagérée de la revendication sociale et des régions. Cette situation a ramené la Tunisie à « un moins d'Etat », qui aurait été salutaire et bienvenu en temps normal de stabilité.
Du coup, nos amis de toujours ont commencé à perdre leurs illusions et à oublier leurs promesses de soutien stratégique à la Révolution.
Ils ont fini par douter du cheminement réelle et de l'évolution au niveau des valeurs véhiculées, au début de la Révolution.
Certains pays occidentaux surtout commencent à se dire : Est-ce bien le système politique et le modèle culturel souhaités pour la Tunisie !
Le sentiment diffus, ça et là, c'est qu'il y a une translation des valeurs qui peuvent malheureusement nous rapprocher progressivement d'un modèle culturel ancien de type médiéval et non pas d'un mode de vie lié à la modernité sociale et institutionnelle qui s'accommode avec l'identité tunisienne de toujours tolérante et modérée.
Dr. Ben Jaâfar a été froidement averti par l'Assemblée parlementaire européenne. « Vous ne pouvez pas faire de la Tunisie ce que vous voulez ». L'Europe soutient le peuple tunisien, mais a son mot à dire, parce que tout simplement, Tunis est à une heure et demi de Bruxelles ! A bon entendeur... !