Par Khaled Guezmir - Il serait, peut-être, intéressant de faire un bilan spécifique en partant d'une question simple : qu'est-ce qui sépare la Tunisie post-révolutionnaire d'une véritable démocratie à l'occidentale après une nouvelle élection et l'arrivée de nouvelles formations au pouvoir ! Déjà, il faut rectifier l'hypothèse en disant qu'il s'agit d'une élection pour désigner une Constituante et non un gouvernement. Donc, sur le plan structurel et la vocation même de l'Assemblée élue il y a problème. Va-t-on s'atteler à rédiger la Constitution et sculpter le nouveau système politique et la forme du futur pouvoir et du gouvernement, ou va-t-on tout faire… légiférer, gouverner et rédiger pour arriver avec la pression du conjoncturel à une nouvelle grille des priorités où l'essentiel devient le subsidiaire. Oui, l'essentiel qui est de confectionner une Constitution et un nouveau système politique conformément aux objectifs de la Révolution (liberté et dignité) devient le subsidiaire parce que la majorité élue a d'autres priorités. D'abord, au niveau des valeurs, construire une démocratie à l'occidentale n'est plus une « exigence ». Certes, on garde la « liberté » et la « dignité » mais autrement, en les moulant dans le format « islamiste ». Et comme la « démocratique islamique » n'existe nulle part il va falloir l'inventer… où ? En Tunisie ! Quelqu'un dirait qu'à l'honneur de la Tunisie, nous sommes devenus un «laboratoire » des systèmes politiques islamistes, alors que ce pays paisible pourrait trouver sa voie sans courir le risque de faire du sur-place ou encore de revenir à la case départ… Celle de l'absolutisme ! Si la bonne foi est toujours présumée, avec les systèmes de gouvernement elle doit être prouvée ! Finalement, si la volonté politique d'instituer une démocratie classique telle que pratiquée depuis les Grecs dans les pays d'Occident et qui reste, quand même, la référence, était bien réelle chez la « Troïka » unitaire, qu'aurait-il fallu faire : garder les mécanismes qui ont bien fonctionné jusque-là, dans cette direction ou vouloir les déstructurer, les chambouler et les « adapter » aux nouvelles « valeurs » et objectifs de l'islamisme politique ! La réponse est claire et ne souffre d'aucune ambiguïté : Instituer une démocratie « classique » à l'européenne en Tunisie n'est plus une priorité et encore moins un objectif pour ceux qui nous gouvernent actuellement. Leur projet est une autre forme de démocratie « adaptée » comme toujours, et ce n'est pas Ben Ali qui nous contredirait, à nos « réalités », à notre « identité » etc, etc… ! Qu'est-ce qui est le plus prioritaire, aujourd'hui, faire une démocratie qu'on peut emprunter au monde qui compte et qui vit au rythme de la terre et qui s'articule autour de normes simples et impératives, comme la séparation des pouvoirs, la liberté de presse et d'opinion, l'alternance pacifique au pouvoir, la séparation des religions et de l'Etat, la neutralité de l'administration publique, ou chercher à confectionner un « nouveau modèle » prêt à l'exportation aux pays du « printemps arabe » ! Demandez à nos frères algériens ce qu'ils pensent et ils vous le diront ! L'expérience et l'Histoire, prouvent que la mise en marche d'un nouveau modèle demande beaucoup de temps avec les aléas de la conjoncture et des rapports de force. La synergie aidant, on peut passer du blanc à son contraire ! Les constituants de 1861 et à leur tête Kheïreddine Pacha Attounsi, voulaient aussi une monarchie libérale et constitutionnelle, puis la révolte de Ali Ben Ghdhahoum, en 1864, la sécheresse et la rétention des pouvoirs périphériques à la Cour beylicale, ont fait le reste : Résultat : Une monarchie où le Bey est resté le « possesseur » du Royaume de Tunis (Malek El Iyala Attounoussiya) ! Les constituants de 1955 ont voulu aussi au départ, une monarchie constitutionnelle et parlementaire puis une République avec un régime présidentiel où la séparation des pouvoirs est garantie (relisez le préambule de la Constitution du 1er juin 1959) et nouveau résultat : Une « Monarchie » présidentielle où l'exécutif contrôle tout l'appareil institutionnel et l'ensemble des pouvoirs. Plus on s'installe dans la durée, plus les nouveaux pouvoirs « constituants » s'éloignent de l'objectif initial pour adopter des lois et des normes conservatoires de leurs pouvoirs personnels et partisans ! C'est une vérité de la science politique. On n'y peut rien ! Le pouvoir est comme le mercure, il est fluide et il refuse instinctivement les garde-fous. L'erreur stratégique de M. Caïd Essebsi, en tant qu'ancien Premier ministre et de MM. Iadh Ben Achour, Kamel Jendoubi et Kamel Laâbidi, c'est d'avoir cru, chacun, en présidant son « Instance » que les nouveaux pouvoirs issus d'une élection « transparente » allaient jouer le jeu comme eux, ils l'ont fait ! L'erreur fatale a été de ne pas institutionnaliser et codifier les délais de la transition nouvelle par des textes supra-constitutionnels et de donner un pouvoir absolu et souverain à la Constituante qui, peu à peu, s'est éloignée des objectifs premiers de la Révolution, à savoir bâtir ce socle de la liberté qui ne peut être qu'un système démocratique classique et « certifié » universellement ! Que voulez-vous, c'est bien Machiavel et John Locke qui ont toujours conseillé aux peuples et aux élites de se méfier du pouvoir et du « Léviathan » de M. Hobbes ! Entre-temps, je rêve… de rêver que M. Ben Jaâfar, président de la Constituante, pourra tenir parole et que nous aurons, enfin, « notre » constitution avant le 23 octobre 2012 ! Mais laquelle ? Même Dr. Ben Jaâfar ne le sait pas ! Alors, prions !