Je suis entrée à RTCI (radio Tunis chaîne internationale) le 1er mai 2011, après un entretien de sélection mené par un jury composé de directeurs et de rédacteurs en chefs des différentes chaîne de la radio publique. Après l'aventure douloureuse de la presse écrite, où le refuge dans les pages culturelles du Renouveau ne m'a pas épargné l'humiliation d'être journaliste sous une dictature, j'étais prête pour une nouvelle aventure pour exercer enfin le métier dont je rêvais, déjà étudiante.
Ce fut Café Noir, un magazine d'information d'une demi-heure qui devait étoffer la tranche matinale (6h-9h). La ligne éditoriale de l'émission s'adossait bien évidemment aux exigences de la transition démocratique vécue par les Tunisiens, avec espoir et enthousiasme. Je pensais pouvoir participer à décoder l'actualité, à donner des repères aux auditeurs dans un contexte tendu, incertain, où l'invective l'emportait sur le débat rationnel. J'ai essayé d'élargir le spectre de mes invités à toutes les tendances, à toutes les générations et à tous les domaines de la vie sociale, culturelle et économique, ce qui supposait d'emblée que la langue française ne devait en aucun cas être un obstacle à l'expression des points de vue. Parmi la centaine d'invités de Café Noir plusieurs d'entre eux n'avait jamais franchi la porte des médias publics, hommes et femmes politiques de tous bords, acteurs de la société civile, chercheurs et artistes avaient pu s'exprimer, expliquer et échanger sur l'actualité.
Tout n'était pas parfait, respecter les temps impartis, permettre aux invités d'être à l'aise sans tomber dans la complaisance, meubler le temps d'antenne suite à la défection d'un invité ou rebondir, après un petit incident technique. Les formations en écriture radiophonique, en reportage et en montage m'ouvraient de nouvelles voies et me donnait l'espoir d'être à la hauteur des attentes des auditeurs. Je commençais même à rêver d'assurer une heure d'antenne pour donner aux invités et aux auditeurs d'autres choix que d'être agressés tous les matins à 8h par des publireportages déguisés en trouvaille journalistique. Car le fond du problème est là.
Si j'ai partagé avec mes collègues le manque de moyens, les incertitudes de la conjoncture, la difficulté à reprendre l'initiative, je sentais au fil des mois que mon enthousiasme pour un journalisme de qualité se heurtait à l'inertie de l'institution. Je découvris, éberluée, qu'il y avait peu d'empressement à séparer la rédaction de l'administration. Dans un passage à l'acte qui marquera les annales de la radio publique, une directrice, fraîchement fixée dans son poste, fait irruption dans le studio pour agresser verbalement, en direct, mon invité du jour. En revanche, le schisme entre journalistes et animateurs est toujours fermement défendu, dans une unanimité inquiétante. Comment peut-on encore s'agripper aux reliques de la dictature qui réduit le journalisme au batônnage des dépêches, d'un côté, et de l'autre, les magazines d'information à l'animation.
Le fond de la question est bien là. Les atermoiements d'une direction conditionnée par l'autoritarisme ne peuvent tromper que ceux qui s'y prêtent. Avec ma collègue Najoua Zouhair, nous sommes les victimes collatérales d'une transition médiatique qui prend les chemins de la régression. A RTCI, comme dans d'autres médias, des jeunes et des moins jeunes se battent difficilement pour rendre à ce métier son honneur perdu. Qu'ils ne désespèrent pas, qu'ils ne remettent pas à des lendemains meilleurs les sujets sensibles, qu'ils n'hésitent pas à risquer d'interviewer les voix dissonantes, qu'ils s'indignent contre la censure. En 1988, Ben Ali a commencé de la sorte à étouffer petit à a petit les espaces de liberté, à réduire au silence les plus récalcitrants. Nous l'avons payé cher, Plus jamais ça !