La température avoisinait les 45°C, en ce dimanche 5 août 2012. Et pourtant, on était le soir, il était 21h passée. Dans Tunis, une capitale suffocante, les jeûneurs se pavanaient dans l'artère principale, l'avenue Habib Bourguiba. Cherchant à se rafraîchir, certains s'attablaient dans les cafés qui donnaient sur la grande avenue, d'autres, savourant une glace, se contentaient de faire des allers-retours. Tout paraissait normal mise à part une présence policière massive.
Rien ne semblait perturber cette ambiance à la fois vive et morne, alourdie par la moiteur et la chaleur suffocante, quand une horde humaine commençait à envahir petite à petit le centre-ville de Tunis.
C'était la manifestation du 5 aout, celle dont on parlait sur le réseau social Facebook et qui appelle les Tunisiens à manifester pacifiquement contre les dernières décisions prises par le gouvernement quant à l'indépendance de la magistrature, la question du dédommagement des ex-prisonniers d'opinion, le statut de la femme et l'arrestation du journaliste Sofiène Chourabi.
Répression policière de la haute voltige !
Les policiers, civils ou en tenue de combat, squattaient les marches du théâtre municipal, le terre-plein du milieu de l'avenue et même les cafés. On interdisait aux passants de s'assoir sur les escaliers de la Bonbonnière, de s'arrêter et de se rassembler.
21h30. On transpirait, on suffoquait et la tension allait de pair avec la chaleur caniculaire nocturne. Les quelques centaines de manifestants rejoints par les badauds tentaient tant bien que mal de se rassembler pour crier leur ras-le-bol contre ces anciens persécutés de Ben Ali et qui sont aujourd'hui à la tête du nouveau trône répressif, selon leurs dires.
Les policiers incitaient les manifestants à se disperser. « Vous n'avez pas le droit de vous rassembler ! C'est la loi ! Allez-vous--en ! Circulez ! Y a rien à voir par ici.». Jusque-là, rien de vraiment choquant, du moins, humainement parlant. Pas d'agression physique ou morale.
Obstinés et déterminés, les manifestants tenaient à manifester pacifiquement et à se rassembler pour afficher à qui tout va leur mécontentement qu'ils ressentent face à un gouvernement qu'ils trouvent «incompétent», «corrompu», «voleur».
Interdits de se rassembler, jeunes et moins jeunes se sont dirigés vers le ministère de l'Intérieur scandant des chansons propres à la «Révolution» dont le texte de certaines d'entre-elles, a été modifié avec le nouveau contexte politique. C'est à ce moment-là que des motards en costumes de policiers et d'autres en civils se sont violemment attaqués aux manifestants à coups de matraques, d'injures et de coups de pieds. Motif : disperser cette foule parce que ledit ministère ne leur a pas accordé le droit de manifester. Au nom de quoi ? Au nom de l'état d'urgence.
Les rescapés des geôles de Ben Ali lâchent leurs vassaux sur le commun du citoyen
Les persécutés par la police retournent au cœur du centre-ville et tiennent bon à dire haut ce qu'ils pensent du gouvernement «légalement» élu. Les forces de l'ordre ne lâchent pas prise non plus. Les affrontements ne tardèrent pas. Les chaises des cafés s'envolèrent. Les injures, les insultes et les gros mots ne manquèrent pas non plus. Tous les passants, qu'ils soient manifestants ou simples passants, tout âge et sexe confondus, ont eu leur lot d'humiliation et d'invectives odieuses. On attaquait aveuglément les citoyens à coup de chaises, de matraques, de coups de pied ou de poing. Il pleuvait des baffes. Une passante s'est vu confisquer son tél par un des policiers et s'est fait traiter par tous les noms quand elle a réclamé son appareil téléphonique.
On avait l'impression d'assister à une pièce de théâtre de mauvais goût et dont l'auteur s'efforçait à mimer le réel qui le dépassait, tellement le vécu était odieux. Sommes-nous à la veille du 14 janvier ou subissons-nous juste la frustration mal retenue des rescapés de Ben Ali ? L'on se dem ande où sont passées ces promesses préélectorales qui appelaient à la réconciliation et ces policier sortis demander l'armistice avec le peuple !
Avant-hier, les centaines de manifestants sont sortis s'indigner contre cette nouvelle forme de népotisme, de censure, d'iniquité et de corruption qui sévit dans le pays. La réponse est toujours la même : violence, répression et humiliation du genre humain dans cette nouvelle Tunisie qui se vantait, il y a quelques mois d'avoir été la pionnière dans le Monde arabe en terme d'émancipation et de lutte contre la dictature...
Un comportement nous a interpellés. Durant une courte pause entre les manifestants et les policiers, quelques journalistes portant leurs dossards Presse ont voulu s'accorder un petit moment de répit et se rafraîchir par ce temps caniculaire. Comble de l'ironie, les portiers du café L'International leur ont violemment refusé l'accès et leur ont dicté leur conduite : «Enlevez vos dossards et débarrassez-vous de votre matériel (micros, caméras, dossards...) si vous voulez vous attabler ici !». Pis encore, on intima même les clients installés sur la terrasse d'arrêter d'utiliser leurs appareils photos ou de quitter le café. Dépités, ce beau monde préféra quitter ledit café et aller s'hydrater et exercer leur citoyenneté ailleurs.