Elles sont en deuil, ces familles qui ont perdu ce qu'elles ont de plus cher et celles qui sont dans le désarroi total de l'inconnu. Envahies par cette odeur marine macabre de ceux qui ne sont plus, les «repêchés» ou ceux simplement «disparus», engloutis par la mer.
L'avortement des espoirs du 14 janvier
Ils étaient entre 130 et 136 personnes, dont 10 femmes et 6 enfants et des mineurs, à avoir pris ce bateau, qui selon les premiers témoignages, mesure 22 mètres de longueur. Ils ont pris le large, affrontant le trépas, quittant la misère et le désespoir. Ils rêvaient d'une vie digne et meilleure que celle qu'ils endurent. Ils rêvaient de vivre sous d'autres cieux où parait-il, l'Eldorado était accessible. Fuir la misère, l'injustice et les conditions minables qui n'ont nullement changé depuis le 14 janvier. Une date à laquelle ils y ont cru, où tous les rêves étaient permis et l'espoir pompaient les poumons.
Le désenchantement et le mal-être juvénile ont regagné cette centaine de jeunes et les ont réduits à un tas d'âmes errantes, frustrées et accablés. Le désespoir tue. A cette vie oisive et morne, ils ont préféré braver les lois, braver la mort, prendre le risque et quitter leur pays natal. Eux, sont ceux qu'on appelle «les Harragas». Ces marginalisés du système, ces éternels oubliés. Eux, ce sont l'illustration parfaite d'un dysfonctionnement du système. Un dysfonctionnement où tout le monde est coupable. Si l'on sait que pour cette fois-ci, le nombre des femmes a augmenté et celui des diplômés s'est amplifié. Nos jeunes intellectuels, engloutis par l'abattement, se sont joints au reste des «harragas» dont généralement le profil correspond à ceux qui ont arrêté leurs études trop tôt et qui ne possèdent point de diplômes universitaires. Alarmant !
Si aujourd'hui, nos intellectuels «fuguent» illégalement à l'étranger, au risque de disparaitre dans la mer, ceci illustre ostentatoirement l'échec cuisant du gouvernement à absorber cette force et fougue juvénile capable de faire redresser l'économie du pays.
Le flou consume les familles en deuil
Les miraculés sont au nombre de 56, selon les chiffres données par les autorités italiennes au ministère des Affaires étrangères. Les autres immigrés clandestins, entre repêchés et disparus, une aura de flou accable et entoure leurs familles.
Le Forum tunisien pour les droits économiques sociaux, qui était sur place après la tragédie marine qui s'est abattue sur la Tunisie en deuil, la nuit du jeudi à vendredi 7 septembre 2012 publie un communiqué dans lequel il s'indigne contre l'ambiguïté outrageuse qui entoure cette catastrophe humaine et la thèse du naufrage qui n'est toujours pas soutenue et contre la législation mise en vigueur quant aux «mouvements migratoires» qui sont traités par «la répression», selon le contenu dudit communiqué.
Dans un autre volet, le FTDES appelle à l'ouverture d'une enquête urgente et responsabilise les autorités italiennes et tunisiennes sur l'état psychologique et sanitaire des miraculés et des familles des disparus. Le communiqué attire l'attention sur les conditions dans lesquelles se trouvent les 56 rescapés et la nécessité de les transférer rapidement du centre de Contrada Imbriacola de Lampedusa vers un centre d'accueil mieux adapté aux besoins des rescapés qui sont en état de choc poignant.
Quant aux autorités tunisiennes, elles devraient prendre leur part de responsabilité et éclairer les familles en deuil et affolées en ouvrant une enquête sérieuse pour répondre aux questionnements qui leurs taraudent l'esprit et minent leur quotidien. Ainsi, en prenant sa part de responsabilité, le gouvernement évitera de commettre la même injustice faite à l'encontre des familles des 250 disparus au mois de mars dernier. Le Forum appelle les décideurs des deux pays autorisent les associations et la société civile à rencontrer les rescapés pour mieux les encadrer, les soutenir et les mettre en contact avec leurs familles affligées. Le FTDES estime que l'Etat doit en urgence prendre en charge psychologiquement et financièrement ces familles en leur fournissant l'encadrement psychologique et l'indemnisation.
Les rideaux de la tragédie des candidats à l'exil vers Lampedusa, ne semblent pas vouloir être baissés. Le trépas guettera inlassablement nos jeunes dans l'absence d'une prise de conscience sérieuse par les Etats tunisien et italien quant aux lois de l'immigration. Entre-temps, nos jeunes tunisiens préfèrent s'offrir en offrande à la Méditerranée que de survire dans la misère et l'injustice sociale.