Sousse, métropole d'un Sahel laborieux et prospère depuis la plus haute antiquité, est devenue la troisième ville du pays à partir de la fin de la 2ème guerre mondiale. Martyrisée durant la Campagne de Tunisie, elle a beaucoup souffert d'importants bombardements aériens anglo-américains pendant l'hiver 1942-43. A peine libérée, elle a de nouveau été bombardée, heureusement brièvement, par l'aviation nazie. Au lendemain de la guerre, courageusement, elle releva la tête, reconstruisit ses quartiers en ruine et reprit activement son rôle de foyer syndical et politique dans le cadre de la lutte pour l'Indépendance. Sousse et le Sahel sont connus depuis très longtemps pour leur indépendance intellectuelle et leur esprit frondeur. En remontant le temps, cette cité fût l'une des premières du pays à rechercher l'appui des Turcs, tant elle souffrait des attaques chrétiennes au XVIème siècle. Elle devint ainsi une ville prospère. Son port lui permettait de commercer aussi bien avec l'Europe qu'avec l'Orient. Mais, au XVIIIème et au XIXème siècles, pour s'être impliquée dans les conflits que les dynastes tunisiens entretenaient entre eux et pour avoir été attaquée à plusieurs reprises par les flottes européennes, elle connaît une décadence certaine. Pourtant, Sousse et sa région se sont opposées vivement à la conquête du pays par les troupes françaises à la fin du XIXème siècle. Il est attesté que la région de Sousse est peuplée depuis l'époque paléolithique. Les « stations » préhistoriques sont nombreuses aux alentours d'Hergla. Au sud, les anciens îlots devant Monastir abritent des tombeaux rupestres berbères appelés « Haouanet ». Le long de la route partant d'Enfidha ville et allant vers Kairouan, les nécropoles à dolmens - dont celle célèbre de Menzel Dar Belouaer comprenant 300 dolmens qui ont disparu en 50 ans ! - succèdent aux « R'madiya » : amoncellements de cendres, déchets et de silex taillés et aux « bazina » : tumulus funéraires. Toute cette petite région, à elle seule, mérite une « promenade » et un article ... prochain. Il semble bien que ce soient des marins venus de la Méditerranée orientale : Crétois, Grecs ou Phéniciens qui aient fondé le premier noyau urbain de Sousse, sans doute avant Carthage. A cette époque, la région était déjà peuplée par ceux qu'on appelle maintenant les « Libyco-phéniciens » qui sont des Berbères, « Libou » peut-être, ayant intégré de multiples influences, dont celles venues de l'Egypte des Pharaons. Ils ont continué à assimiler les apports originaires de la Méditerranée tout en développant leur identité. Sousse / Hadrumetum située à un endroit facilement accessible par la mer, au Sud du Golfe d'Hammamet, dans une riche région agricole, semble avoir toujours réussi à drainer les productions régionales et lointaines pour en faire le commerce par la terre ou par la mer. Le réseau de voies qui en partent, à l'époque romaine, nous semble avoir été superposé, et amélioré, aux pistes « naturelles » antérieures. Le nom de Sousse / Hadrumetum pose problème par sa quasi homophonie avec celui d'Hadramaout d'Arabie. Son nom original fut-il Hadrim dont l'origine libyque est aussi contestée que son étymologie sémite ? Port de commerce dès l'origine, ville cosmopolite par essence, Hadrim / Hadrumetum semble entrer dans l'Histoire au moment où elle fait allégeance à Carthage punique. La ville antique a-t-elle été entièrement recouverte par la Médina actuelle ? Certainement. Mais était-elle une cité étendue ou un bourg commerçant aux maisons serrées sur la pente abritée des vents froids et humides face à la mer, d'une colline de 40 mètres d'altitude, un peu comme la Carthage d'origine ? Qui était construite apparemment autour du port et du Tophet, au pied de la colline de Byrsa ? A ce bourg, Hadrim, semblent s'être ajoutées, au fur et à mesure du développement économique de la cité, de grandes maisons entourées sans doute de jardins, de vergers et de champs à l'instar de Mégara aux alentours de Carthage et des « Borj » des familles tunisoises autour de La Marsa aux XVIIIème et XIXème siècles. La dispersion des monuments publics, à l'époque romaine, semble corroborer cette hypothèse. De riches familles carthaginoises, dont celle d'Hannibal, avaient d'énormes propriétés dans la région. Toujours est-il qu'Hadrim ou Hadrumetum, du fait de sa soumission à Carthage, fut prise et pillée par le Tyran Syracusain Agathocles vers 309 avant J.C. Hannibal y est revenu, en rentrant de son interminable et désastreuse campagne en Italie. Préférait-il y reconstituer une armée, loin des pressions de Carthage et à l'abri des « coups de main » des légionnaires de Scipion qui guerroyaient aux environs de la métropole punique ? Hannibal est parti de la région d'Hadrumetum pour se rendre à Zama, en 202 avant J.C., où il fut battu par les troupes alliées de Scipion et du roi massyle Massinissa. Il y est revenu au lendemain de sa défaite. Mais les élites de la cité s'allièrent très vite ensuite à Rome. Cela lui valut d'être considérée comme une ville libre, et de ne pas payer tribut après la destruction de Carthage en 146 avant J.C. A cette époque, elle devint, après Utique, la deuxième ville de la nouvelle province romaine. Elle comptait alors, entre 10 et 15.000 habitants qui s'étaient installés pratiquement sur la pente recouverte par la Médina actuelle autour du Tophet, un des principaux lieux de culte punique, qui se trouvait près de l'ancien Bab El B'har disparu à la suite des bombardements de 1943. Il semble qu'Hadrim / Hadrumetum punique ait été entourée d'un rempart à la suite de l'expédition d'Agathocles mais une enceinte tardive a sans doute été édifiée pratiquement sur le même tracé que celui des remparts actuels. Tous les amateurs d'histoire et les amoureux de Sousse liront avec profit et intérêt la publication récente de M. Néji Djelloul - dont nous avons parlé à plusieurs reprises - intitulée : « Sousse, l'antique Hadrumetum ». Ils y trouveront une information détaillée, présentée très agréablement ainsi que de nombreuses et très belles illustrations dues à M. Abderrazzak Khéchine.
Hadrumetum / Sousse est conquise par les Arabes en 654. Ils ont font sans grandes transformations, une petite ville fortifiée : un immense « Ribat » destiné à protéger la région des attaques byzantines venant de la mer. Ensuite les Aghlabides en font une place forte, lui restituent son port et un arsenal et s'en servent comme base aussi bien pour la conquête de la Sicile que lors de raids contre l'Italie du sud et les îles voisines : Malte, Pantelleria. Elle devient une ville importante et prospère. La fondation de Mahdia ne semble pas avoir porté préjudice aux activités de Sousse et de son arrière-pays. Leurs produits agricoles et artisanaux étaient renommés. Les invasions hilaliennes ont eu des répercussions néfastes sur le Sahel, les plaines de Kairouan et de Sfax et même sur les hautes steppes situées plus à l'Ouest. Les raids et les occupations des Normands ont aggravés la situation. Après la bataille de Lépante, le déplacement des lignes commerciales vers le Nord de la Méditerranée et l'affaiblissement du commerce Est-Ouest arabo-musulman, littéralement « aspiré » par une Europe en pleine expansion économique, entraînent la décadence de Sousse qui se rangea parmi les premières cités sous l'égide des Ottomans, avons-nous dit. Et aujourd'hui, est-elle la troisième ou la deuxième ville de Tunisie ? Ses plages, ses golfs, ses marinas ainsi que ses monuments et son très riche musée en font un pôle touristique très important servi par des hôtels et des restaurants de grande classe. Sousse et sa région s'industrialisent rapidement. Les agglomérations se modernisent et s'étendent à une vitesse telle qu'on peut se demander si, très prochainement, l'ensemble Nabeul - Hammamet qui s'étend vers Bou Ficha et Hergla ne rejoindra pas le conglomérat Monastir - Sousse - Chott Meriem - Port El Kantaoui pour former un énorme pôle touristico-commercial. Que restera-t-il de « tunisien » quand des millions de touristes auront imposé leurs demandes ? Les hôtels déjà offrent un confort « international » sans aucun « caractère ». Il faut aller très loin dans la campagne, dans une petite auberge de village pour déguster un plat vraiment tunisien ! Le Golfe d'Hammamet nous fait irrésistiblement penser au Golfe du Lion du Languedoc français. Les villes balnéaires, sans identité propre, ont envahi le littoral : les hôtels succèdent aux hôtels, les Résidences se suivent, les Golfs se ressemblent et se multiplient à côté des courts de tennis et des clubs hippiques. Les parachutes ascensionnels survolent les « jet-ski » et les « quads » sillonnent les collines. Quand le Sahel aura perdu son âme, sous l'influence de touristes bientôt aussi nombreux que les Sahéliens, les étrangers viendront-ils encore rechercher une Tunisie qui n'existera plus ? Les Sahéliens veulent-ils vraiment que leur région devienne le « Club Med » - ou autre chose du même genre ! - de l'Europe ? Bientôt, ils ne pourront même plus se loger : les « riches » européens achèteront ce qu'ils pourront ou, au minimum, feront monter les prix du foncier à des niveaux inaccessibles aux Sahéliens moyens.