Dans une lettre adressée aux élus de l'Assemblée nationale constituante, rédigée, hier, par Human Rights Watch, l'organisme sonne le tocsin quant aux graves lacunes qui touchent les droits de l'Homme en Tunisie. Ils attirent, notamment, leur attention quant à l'urgence de rectifier les articles qui concernent ces erreurs.
Les droits humains menacés dans l'ébauche de la Constitution
Effectivement, le texte de la Constitution qui a été rendu public le 8 août 2012, a été coécrit par six commissions de l'ANC et est actuellement soumis à une commission de coordination de l'assemblée pour être préparé. Une séance plénière, sera ultérieurement programmée pour débattre de l'ébauche de cette Constitution. Le contenu de ce texte sera présenté au vote.
Néanmoins, les décisions prises portant sur les droits de l'Homme, les droits de la femme, le libre arbitre, la liberté idéologique et de la conscience, la liberté de création et d'expression, la non-discrimination ; sont inquiétantes et mettent en péril ces droits humains universels.
Si ces textes sont appliqués, les droits de l'Homme seront gravement menacés.
Les droits les plus touchés et qui risquent d'être violés sont surtout ceux qui touchent à la liberté de croyance, la différence théologique, l'égalité femme /homme, et l'égalité dans les droits.
Selon l'analyse effectuée par Human Rights Watch, le texte proposé ne respecte pas les conventions internationales en matière des droits humains dans lesquelles la Tunisie s'est engagée après ratification. C'est dans ce sens-là que le directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, Eric Goldstein déclare que dans le cas où ce texte est adopté, la Constitution, au nom du Sacré, atteindra gravement aux libertés individuelles et violera la liberté d'expression. Ces décisions, une fois prises en compte «grignoteront les acquis en termes de droits des femmes dont le pays peut être fier» et mettront en péril l'image de la Tunisie qui a, d'ores et déjà, signé des traités internationaux dans lesquels elle s'est engagée en termes de droits humains.
Ambiguïté et paradoxe des articles 3, 17, 22 et 28
Human Rights Watch, par le biais d'une analyse, attire l'attention sur l'ambigüité qui plane autour d'une kyrielle d'articles à l'instar des articles 3, 17 ,22 et 28 de l'ébauche de la Constitution. Le texte de l'article 3 stipule que «l'Etat garantit la liberté de croyance et de pratique religieuse et criminalise toute attaque au sacré », sans pour autant définir ou limiter les lignes rouges du Sacré dont il est question. Selon les déclarations de Human Rhigts Watch, cette ambiguïté ouvre la porte à un grand flou et incite à la création de lois qui criminalise l'expression et la création.
Le texte de l'article 3 demeure, d'après l'analyse de HRW incomplet dans le sens où il discrimine toute personne non-musulmane. La tolérance religieuse n'est plus permise et que nul n'a le droit «d'adopter une autre religion que la sienne.»
Toutes ces zones d'ombre et textes occultes ne faciliteront pas l'application des droits humains et inciteraient de manière indirecte à la violence envers autrui s'ils sont différents de nous idéologiquement ou théologiquement. Human Rights Watch souhaiterait que les textes soient un peu «plus explicites» à ce sujet.
Pour ce qui est de l'article 17, il est paradoxal, dans le sens où malgré l'engagement qu'a pris la Tunisie envers les conventions internationales portant sur les droits de l'Homme, le texte cet article 17 stipule que : «le respect des conventions internationales est obligatoire si elles ne vont pas à l'encontre de cette constitution.». Cette contradiction dans les propos remet en question l'engagement tunisien du point de vue juridique quant à l'application de ces conventions ratifiées par la Tunisie. Sachant que législateurs et juges peuvent ne pas se conformer aux textes des conventions puisque dans l'application de la loi, ils se baseront plutôt sur la nouvelle Constitution. Quant à l'article 28, article qui a suscité une vague d'indignation et de mécontentement sur les droits de la femme et son statut, il met en péril tous les acquis qui font la fierté des Tunisiennes. Ces dernières se retrouvent, après la Révolution menacées dans leurs libertés et leurs droits en étant traitées de complémentaires de l'homme. Cette notion de complémentarité du rôle des femmes et des hommes au sein de la famille, omet le principe d'égalité entre les sexes.»
Le texte de l'article 22 est tout à fait une autre paire de manches. Dans la mesure où il énonce d'abord que « tous les citoyens sont égaux en droits et en libertés devant la loi, sans discrimination d'aucune sorte », pour enchaîner avec l'interdiction de la présidence à tout Tunisien non musulman.
Aux termes de cette lettre, Human Rights Watch déclare que ces failles dans l'ébauche de la Constitution doivent être rectifiées avant que les textes ne soient votés ou sinon les autorités auraient la possibilité «de confisquer à leur guise les droits proclamés dans la Constitution.»