Enfin Malherbes vint ! Cet éloge de Boileau à Malherbes pour ce qu'a œuvré ce dernier à l'élaboration du langage, peut-il s'appliquer en l'occurrence quant à l'activation des décrets-lois 115 et 116 sur la liberté de la presse ? La réponse à la question est plutôt mitigée, car il ne s'agit pas dans le cas d'espèce d'un éloge mais d'un grand ouf de soulagement. En effet, le secteur de l'information a souffert durant l'ancien régime de cette mainmise de l'exécutif qui a persisté à mettre des obstacles de toutes natures à la libre expression afin d'occulter certaines vérités dont notamment les abus et les malversations par ceux-la mêmes qui étaient censés garantir les droits des citoyens et préserver le pays de toute atteinte à l'intérêt national. De cette hégémonie, découlèrent de multiples procédés tendant à porter atteinte à la liberté d'expression, dont notamment des moyens prohibitifs ou coercitifs. Des moyens prohibitifs directs et indirects La censure était une pratique courante avec laquelle on avait fini par se familiariser. Bien plus, certains journalistes s'autocensuraient, afin de ne pas avoir maille à partir avec la police politique et risquer des ennuis de toutes sortes. Corrélativement au monstre de la censure, il y avait le code de la presse qui depuis sa promulgation en 1975, a été modifié plusieurs fois, sous Bourguiba, puis sous Ben Ali, afin de réduire davantage la liberté d'expression. Ceux parmi les journalistes qui osaient faire part de leurs opinions pour dénoncer des injustices et jeter la lumière sur des abus ou des malversations, étaient poursuivis en vertu dudit code, notamment pour diffamation, et atteinte à l'honneur et à la considération de la personne, délits dont les peines pouvaient atteindre 3 ans de prison et plus de 1000 dinars d'amende. La liberté d'expression sur la sellette Depuis la révolution, le problème de la liberté d'expression a été remis en cause avec beaucoup d'acuité surtout avec la survenue de certains évènements suite auxquels les nouvelles autorités ont réagi avec les mêmes procédés que ceux de l'ancien régime en poursuivant le directeur d'une chaîne de télé locale par exemple, suite à la diffusion d'un film jugé blasphématoire. Le parquet n'a pas hésité à inculper certaines personnes en vertu de délits pénaux et non de délits de presse. Et pourtant les décrets-lois 115 et 116 étaient déjà promulgués par le premier président de la République par intérim, Foued Mebazaâ. Les journalistes restaient encore sceptiques et certains d'entre eux ont même renoué avec les réflexes de l'autocensure. Il y a eu donc une conjoncture de suspicion telle que les événements qu'il y a eu sur le compte de la liberté d'expression, étaient analysés comme un retour aux anciens procédés de l'ancien régime. D'autant plus qu'on n'hésitait pas à poursuivre pour diffamation, ou pour atteinte aux bonnes moeurs n'importe quel avis ou opinion, exprimés sous des propos francs et parfois assez crus. En attendant, les nouveaux décrets-lois n'étaient pas encore activés. Les inculpations étaient faites sur la base des articles du code pénal, quand bien même il s'agissait de délits de presse. Quelles garanties de liberté avec les nouveaux décrets-lois ? Maintenant que lesdits décrets-lois ont été activés on se demande si la liberté d'expression est garantie d'une manière effective. En vertu de l'article premier du décret-loi 115, la liberté d'expression est exercée désormais selon les normes internationales et ne peut en aucun cas être limitée par un texte législatif. Le journaliste est en droit de recueillir toute information sans subir de pressions d'où qu'elle émane. Enfin, selon les articles 21 et suivants dudit décret les délits de presse sont désormais sanctionnés par des amendes. Ce qui est un acquis considérable par rapport à l'ancien code de presse. Intention du législateur, et opportunité des poursuites par le procureur Il y a d'abord le fait qu'il est toujours loisible au procureur de poursuivre en vertu du code pénal, s'il estime qu'il y a atteinte à la dignité personnelle ou aux bonnes mœurs. Le législateur n'a pas été assez explicite là-dessus. D'autant plus que les termes de diffamation et d'outrage prêtent souvent à confusion et appellent les interprétations les plus diverses. Par ailleurs les peines d'amendes qui peuvent s'accumuler, pour atteindre 100 mille dinars, peuvent l'objet d'une contrainte par corps si elles ne sont pas honorées. Selon certains juristes ledit décret-loi a repris certains textes du code français de la presse de 1984. Or ces textes, étant jugés équivoques et ne garantissant pas assez la liberté d'expression ont été suspendus par le Sénat. Pour toutes ces raisons ces décrets-lois prédominés par la mentalité de l'ancien régime, ne semblent pas garantir d'une manière définitive la liberté d'expression et restent encore à parfaire, dans le sens de la consolidation et de la transition démocratique.