• Le nouveau décret-loi toujours en veilleuse Depuis qu'elle fut définie par la déclaration des droits de l'Homme et des citoyens de 1789, comme étant « un des droits les plus précieux de l'homme, » la libre communication des pensées et des opinions a été sujette partout dans le monde, à divers remous, et ce, en fonction des régimes politiques et des conjonctures socio-économiques. En effet la liberté de la presse a été à un moment donné, sanctionnée par ceux-là mêmes qui ont appelé à sa consolidation. L'exemple le plus frappant étant celui des régimes coloniaux qui persécutaient systématiquement, ceux qui dénonçaient les injustices et les spoliations que les occupants avaient longtemps fait subir aux autochtones dans les différentes colonies. A titre d'exemple, la loi française sur la liberté de la presse avait été promulguée le 29 juillet 1881, soit à la même époque où avait été signé le fameux traité du Bardo, ( mai 1881) instaurant le protectorat français, prélude à l'occupation du pays jusqu'à la proclamation de son indépendance le 20 mars 1956. Durant toute la période coloniale, cette fameuse loi de 1881 sur la liberté de la presse n'a jamais été prise en considération, et tous ceux qui ont osé exprimer leurs idées, appelant à la libération du pays et au respect des droits de l'Homme ont été sanctionnés, et subi diverses persécutions et exactions. A l'issue de l'indépendance, et la déclaration du régime républicain en Tunisie en 1957, les libertés ont été consacrées dans la nouvelle Constitution de 1959. Toutefois et au fil du temps, la dictature, a peu à peu remplacé cet enthousiasme qu'avaient les patriotes, et mêmes les leaders qui ont pourtant combattu les injustices du régime colonial. Les temps n'étaient plus les mêmes, et les hommes du pouvoir avaient de plus changé de motivations. Entre la dictature d'un parti unique qui avait carte blanche par le pouvoir pour exercer toutes formes de spoliations, et les multiples exactions de certains hommes au pouvoir avides de profiter sur le compte des plus démunis, un code tunisien de la presse a été promulgué en 1956 ; une sorte de déclaration de principe, de la liberté de la presse. Car celle-ci a été bafouée tant par le régime de Bourguiba que par celui de Ben Ali, et ce malgré les amendements que cette la loi a connus, par des lois organiques en 1975 puis en 1988, et 2001. Cependant l'enthousiasme avec lequel a commencé le régime de Ben Ali de consacrer à la liberté d'expression une attention particulière n'a été qu'un feu de paille. Il y a eu de plus en plus une main mise de l'état sur les médias, écrits ou audiovisuels fussent-ils. Afin de mieux sanctionner la liberté d'expression, des articles du code de la presse ont été insérés au sein du code pénal, pour faire de certains délits de presse, des délits pénaux sanctionnés par des peines privatives de liberté. A la Révolution, la liberté d'expression a suscité l'intérêt de toutes les composantes de la société civile, dont notamment les médias qui ont longtemps souffert d'une répression à outrance de la liberté d'expression. L'urgence de prendre des mesures afin de préserver la liberté d'expression, s'est fait sentir par le gouvernement provisoire qui a promulgué un décret-loi sur la liberté de la presse. Le décret-loi 115 du 2 août 2011 et les garanties de liberté Il est énoncé dans l'article premier de ladite loi que la liberté d'expression est exercée selon les normes internationales et ne peut en aucun être limitée que par un texte législatif. Le journaliste en vertu de ladite loi, est entre autres en droit de recueillir toute information utile en toute liberté et sans subir de pressions émanant de quelque autorité qu'elle soit et pour quelque cause que ce soit. Par ailleurs et en vertu des articles 21 et suivant dudit décret-loi, les délits de presse sont désormais sanctionnés par des amendes. Cependant, des peines privatives de liberté sont maintenues pour certains cas. Les garanties de liberté en vertu dudit décret-loi sont-elles fictives ? La réponse à cette question est mitigée, d'autant plus que le décret-loi en question, n'est pas encore mis en application. A l'occasion du procès Nessma, la répression sur la liberté d'expression était là, malgré l'existence du nouveau décret-loi, les accusés dans cette affaire ayant été inculpés pour des délits pénaux et non des délits de presse. Le parquet continue-t-il à inculper ceux qui ont commis des délits de presse en vertu des articles du code pénal ? cela n'est pas exclu, d'autant plus, qu'il n'y a pas de volonté de la part du gouvernement à déclarer la mise en application du nouveau décret-loi. Imperfections et intention du législateur Dans une conférence donnée dernièrement par Me Béchir Ferchichi, cet éminent pénaliste a notamment affirmé que le nouveau décret-loi ne protège pas suffisamment les journalistes, ayant de surcroît repris certains textes du code de la presse français de 1984. Or ce code français ajouta –t-il a été suspendu par le Sénat. Nous partageons parfaitement l'avis de l'éminent pénaliste, d'autant plus raison que le décret-loi en question, prévoit plus de 50 incriminations avec des peines d'amende pouvant aller jusqu'à 100 mille dinars. Or pour toute peine d'amende, il y a la contrainte par corps, lorsque le concerné est dans l'incapacité de la régler. Supposez qu'un petit journaliste soit condamné à payer une amende de quelques milliers de dinars et qu'il soit dans l'incapacité de payer. Les moyens de pression sur la liberté d'expression ne sont donc pas abolis et les termes de diffamation ou d'outrage, prêtent souvent à confusion et suscitent des interprétations diverses. Est-ce à dire qu'on n'est pas encore sorti de l'auberge ? c'est l'avis de plusieurs observateurs qui appellent les responsables à donner une meilleure attention à cette question. Quel sera alors le sort du nouveau décret-loi sur la liberté de la presse ? Tout dépend de la volonté des responsables dans le gouvernement et à la Constituante à faire de cette question un préalable, dans l'intérêt d'une réelle transition démocratique.