Le samedi 03 novembre dernier, un rendez-vous a été donné aux amoureux des langues dans la salle des conférences du palais d'exposition du Kram. A l'occasion de la foire du livre, le pôle EUNIC (European Union National Institutes For Culture) regroupant les Ambassades d'Espagne, de Portugal et de Pologne en Tunisie, les Instituts culturels italien et français de Tunisie, Cervantès et Goethe, le British Council et la Délégation Wallonie-Bruxelles se sont réunis pour célébrer les langues européennes et leur lien avec la langue arabe. Sous le titre « fête des langues européennes », la rencontre a été axée sur l'interaction des langues du Nord et du Sud comme autant de ponts qui lient les rives de la Méditerranée...
Une initiative pluridisciplinaire
Le programme proposé par les différents participants était pluriel. En effet, des tables ont été disposées autour de la salle et consacrées à une présentation, par affichages, brochures, dépliants et autres recettes de cuisines (l'idée est bien originale) pour faire connaitre le pays tant au niveau culturel qu'éducatif, économique ou culinaire. Des représentants des différents ambassades et Instituts étaient à la disposition des visiteurs en quête d'informations sur les programmes d'enseignements ou d'échanges ou tout simplement culturels. Mais, outre cet aspect formel, une programmation comprenant animation juvénile et ludique, débats sur la présence de la langue arabe dans les langues européennes, représentations théâtrales et musicales ont scandé l'après-midi. Monsieur Daniel Soil, délégué culturel de la délégation Wallonie-Bruxelles, nous expliquera : « au départ, il y a cette idée que les centres culturels se réunissent et travaillent en commun... et une des manifestations qui paraît la plus évidente, c'est que chaque centre culturel européen a ses enseignants et ses formules d'apprentissage de sa langue et ensemble, nous allons essayer de présenter les possibilités offertes par ces centres. »
Le choix de lieu et de la date ne sont pas anodins. Faire coïncider cette « fête » avec la foire du livre est délibéré. Un choix dont le but serait une meilleure connaissance des langues européennes. A ce propos Monsieur Soil dira : « dans d'autres pays, cette manifestation prendra la forme d'une journée d'étude et de festivité. Ici, en Tunisie, nous avons pensé qu'il était bon de faire coïncider cette mise en évidence des langues européennes avec la Foire du Livre ... c'est quand même un grand événement culturel à Tunis qui offre la possibilité aux gens aimant lire et pourquoi pas parler une autre langue de découvrir le polonais, l'espagnol, le portugais etc. car il n'y a pas que les « grandes langues » mais il y a aussi les « petites langues », tout est relatif, mais disons qui sont peu apprises. C'est la diversité linguistique de l'Europe que nous essayons de montrer à travers des spectacles, des débats ou des présentations. Le but est de sortir de l'idée que l'apprentissage d'une langue est forcément quelque chose de sérieux, de rébarbatif et d'ennuyeux. Nous voulons montrer qu'au contraire, apprendre une langue est agréable, qu'on peut rire d'une langue. Et dernier point, nous voulons montrer à quel point c'est utile d'apprendre une langue. En Tunisie, il y a beaucoup de diplômés, et nous connaissons les problèmes rencontrés par ces diplômés lors de la recherche d'emploi. La connaissance même partielle d'une langue étrangère est un atout considérable pour trouver un emploi. Et c'est de tout cela que nous allons débattre aujourd'hui. »
Correspondances linguistiques
Plusieurs questions ont été soulevées par les participants. Qu'elles soient ludiques ou plus sérieuses, les réponses ont été apportées par le dessin, la représentation théâtrale ou l'animation. Le débat a concerné l'interaction des langues dans les contes ou l'adoption des mots arabes dans les langues européennes. Notre confrère Hatem Bourial qui a pris part à la rencontre avec Fernando Andu, Dorota Parzyszek et Isabel R. Gaspar a mis l'accent avec ses acolytes sur l'interférence des langues dans les langues et les dialectes. H. Bourial nous confiera : « je crois que c'est intéressant dans le contexte de la foire parce que cela permet d'avoir la présence des langues européennes et leur rapport avec la langue arabe. Aujourd'hui, nous allons parler de traduction, de glissement linguistique, de terminologie et je crois que toutes ces interventions vont se faire sur un ton festif. Cette notion de fête est très importante car on a tendance à l'oublier. Il ne faut pas oublier qu'il y a une présence effective et historique de ces langues. Par exemple, j'ai travaillé toute une année sur le néerlandais et sur la présence néerlandaise en Tunisie et en fait je me suis aperçu que cette présence remontait au XXVIIème siècle, cela ne date pas d'hier. Et je crois qu'il est important de faire bouger un peu l'arbre du français qui cache toute la forêt européenne notamment en terme linguistique. Ce n'est pas une présence massive de toutes les manières mais elle existe quand même. L'essentiel, c'est qu'elle soit là. La plus grande défaite ne vaut pas le plus court des visas. Cette présence doit se matérialiser par une véritable ouverture et non pas par une porte qu'on entrebâille de temps en temps. La catastrophe de notre relation aux langues européennes est que la jeunesse tunisienne sent qu'elle n'est pas la bienvenue en Europe. Je pense qu'il faut réveiller la conscience européenne sur ce problème car il ne faut pas être un réfugié économique pour venir en Europe, il y a cette Europe des Lumières que les gens quêtent. Cette Europe des Lumières, au nom de la réalité économique, ferme ses portes et c'est le tout qui ferme ses portes. Ce qui est malheureux, c'est qu'il y ait un libre échange des capitaux et non des individus. Je me sens européen car méditerranéen mais malheureusement je ne sens pas qu'il y ait une réelle volonté en retour. C'est une réalité palpable pour la plupart des gens. La fête des langues européennes ne doit pas nous faire oublier les événements malheureux comme ceux de Lampedusa et ça ne doit pas nous faire oublier aussi qu'au fond les portes sont fermées et qu'il faut les ouvrir. Le côté positif doit être perçu dans ce sens là. »
A travers les prestations, le public présent a interagi et a participé aux diverses parties de la programmation. En fredonnant du Brassens ou du Brel, en prenant part à des traductions improvisées ou en apportant un supplément d'informations sur la présence des langues dans le langage parlé, l'assistance a manifesté son intérêt à la question linguistique. Une question qui a été présentée sur un plan officiel par Madame Zeineb Bourguiba, porte- parole du Ministre tunisien de l'Education, qui a présenté les objectifs du Gouvernement pour ce qui est de l'apprentissage des langues étrangères.
Entre utopie et réalité : une langue de bois ?
Madame Bourguiba a présenté, chiffres à l'appui, que les établissements scolaires sont dotés de tous les moyens pour un apprentissage en bonne et due forme des langues étrangères. Des laboratoires installés à cet effet sont la clé de voûte de cet apprentissage. Ensuite, Madame Bourguiba a présenté le nombre d'enseignants et d'élèves qui assurent et poursuivent des cours dans ces langues là. A la fin de son exposé, la porte parole du Ministre de l'Education a fait part de différents projets de partenariat avec des ambassades et Instituts culturels afin de promouvoir et consolider l'apprentissage et les échanges linguistiques.
L'intervention de Madame Zeineb Bourguiba a été vivement critiquée par des enseignants présents dans la salle. Leur indignation était axée sur le danger encouru par certain en assurant les cours, sur le manque de moyens dans certains établissements, sur la réceptivité très limitée de la part des élèves et surtout par la manifestation d'un non -désir manifeste d'un véritable apprentissage compte tenu du faible coefficient accordé aux langues dans le système de répartition des coefficients qui demeurent déséquilibrés. Certains ont fini par ironiser en parlant « d'un enseignement qui perdure de la langue de bois. »
L'après-midi était enfin une occasion d'établir un véritable échange entre les rives de la Méditerranée. Le ton était à la fête ; une fête qui a drainé un large public de tout âge et de tout bord et indépendamment de toute tension, l'échange était bel et bien présent, n'est-ce pas la magie des mots qu'on a célébrée et qui a opéré ?