En d'autres temps, en d'autres circonstances, les Tunisiens n'auraient pas entendu parler de Siliana, c'est-à-dire de l'embrasement dangereux rongeant une région depuis très longtemps traversée par une faille secrète, comme une blessure : rendez-vous toujours manqués avec le train de la modernité, de la croissance et d'une chimère appelée : intégration régionale. Il ne fallait pas un élément déclencheur, il ne fallait pas un Bouazizi s'immolant par le feu pour que Siliana se soulève et bascule dans le chaos. Bien entendu il faut toujours quelque chose. Il fallait bien un détonateur pour que la région s'embrase. Il n'y en a pas, néanmoins, un de particulier, de distinctif et d'aussi puissant. Le tout s'explique en fait par une accumulation. Par le chômage. Par les passe-droits des terriens et par un paradoxe saisissant : la région regorge de potentiel et de potentialités, mais les présomptions révolutionnaires – depuis les événements de Jebel Bargou à l'époque du colonialisme – des « Silianais » transmises, dit-on, dans les gènes, de génération en génération, ont fait qu'autant avec Bourguiba qu'avec Ben Ali, la région a été mise sous l'éteignoir. Par quel procédé ? Simple : attiser les rivalités tribales dans la région.
On comprend que Hamadi Jebali reste irréductible quant aux impératifs de sécurité dans la région. On devine aisément que le gouvernement actuel voie en l'Intifadha de Siliana les germes d'une nouvelle révolution. Tout cela procède aussi de la frilosité, des calculs politiciens, parce qu'on occulte une composante fondamentale : les zones déshéritées ne voient rien venir depuis bientôt deux ans.
En deux ans, une année avec Béji Caïd Essebsi et une deuxième avec Hamadi Jebali, le temps s'est égrené et aucun plan réel n'a pu être réalisé. Pas plus pour le développement régional que pour la croissance d'une façon générale. Il est vrai que ce gouvernement est en train de s'initier aux règles de bonne gouvernance. Mais son problème c'est qu'il est politiquement trop impliqué pour être équitable et juste. Posons-nous cette question : pourquoi les « Silianais » se révoltent-ils ? Parce qu'ils avaient, à 72%, voté Ennahdha qui faisait des promesses. Sauf que les promesses n'engagent que ceux qui y croient.