Jeanne Moreau estonienne, il fallait y penser. Amoureux de Paris depuis qu'il y a passé quelques années comme étudiant à la Sorbonne, Ilmar Raag l'a fait. Dans ce film, son premier long-métrage de fiction, il conjugue des souvenirs personnels liés à l'histoire de sa mère avec des images d'un Paris rêvé, qui lui donnent des allures de conte d'hiver. L'action commence dans la neige et le froid de la campagne estonienne, alors qu'Anna, la cinquantaine, est au chevet de sa mère agonisante. La vieille femme meurt, les enfants d'Anna viennent pour l'enterrement, puis s'en retournent à leurs vies urbaines, abandonnant leur mère à une solitude abyssale. Sans travail (elle a démissionné de la maison de retraite où elle travaillait), sans enfants, Anna vacille. Jusqu'à ce qu'un coup de téléphone rompe le silence de sa maison vide. On lui propose un travail à Paris, ville qui nourrit ses fantasmes depuis sa prime jeunesse, et où la vie ne lui a jamais permis d'aller. Anna ne se fait pas prier. Avec sa petite valise, elle débarque dans le grand appartement de Jeanne Moreau, rebaptisée Frida pour l'occasion. Ces deux femmes n'ont de commun que leur terre natale, leur amour de Paris et leur solitude. Anna est un coeur simple, une femme modeste, dévouée, attachée aux traditions. Entre tendresse et vacherie Frida, elle, est sophistiquée, dure, indépendante. Elle a eu beaucoup d'amants, beaucoup de plaisirs, pas d'enfants. Pour des raisons inexpliquées, elle a rompu avec ses origines, au point de ne plus vouloir prononcer le moindre mot d'estonien (hypothèse scénaristique qui a le mérite de simplifier le travail de Jeanne Moreau). En guise de mise en scène, le réalisateur, qui travaillait jusqu'à présent pour la télévision, se contente d'illustrer un scénario lui-même assez fruste, qui suit cette drôle de relation où le rapport de domesticité n'exclut ni la tendresse ni la vacherie, et par laquelle ces deux personnages atypiques vont reprendre goût à la vie...