Anna Karénine, «ce n'est rien, une femme qui aime un officier et qui se tue», disait Tolstoï. Pourtant, ce chef-d'œuvre de la littérature russe, écrit en 1877, a été adapté neuf fois à la télévision et au cinéma. Le festival du cinéma russe, qui se déroule depuis samedi dernier à la capitale, entre la salle le Parnasse, la maison de la culture Ibn-Rachiq et le Centre russe des sciences et de la culture, a choisi pour le public tunisien, sous la section «retrouvailles», une de ces adaptations, purement soviétique, réalisée par Alexandre Zarkhi. Ce film est sorti sur les écrans de l'ex-URSS en 1967. «Toutes les familles heureuses se ressemblent, chaque famille malheureuse est malheureuse à sa façon». Par cette phrase débute le livre et par un regard commence l'intrigue du film. Tatiana Samoïlova, dans le rôle d'Anna Karénine, se croyait heureuse, jusqu'au jour où elle découvre la passion en descendant les marches d'un train. Le coup de foudre. Ecartelée entre l'amour et son devoir, elle tombe malade. Son mari lui pardonne. Mais malgré ses efforts, elle ne trouve pas la force de quitter l'homme dont elle s'est éprise. Au nom de l'amour, elle défie la morale en vigueur dans la haute société, renonçant à son fils et à son confort... En face de ce couple tragique, un autre s'unit, heureux et répandant le bien autour de lui, celui de Kitty et de Lévine. Comme si chacun cherche le sens à donner à sa vie... Pendant presque deux heures et demie, on s'introduit dans le monde élégant de la Russie du XIXème siècle : les bals avec leurs valses et leurs ballades ; les théâtres et leurs chants lyriques ; les dîners et les brillantes toilettes... Mais tout est sombre dans ce film. Les rondes ressemblent plus à une descente vertigineuse qu'à une danse ; la musique est criarde, presque stridente. Les acteurs évoluent dans des cadres moroses, à commencer par la maison des Karénine. Des murs rapprochés et des espaces vides où résonnent la voix monotone du mari, ses pas nerveux martelant le sol et les portes grinçantes qui s'ouvrent et se ferment... On traduit le malaise et l'étouffement d'une femme qui se révolte. «Elle (Anna) n'éprouvait plus envers son mari que la répulsion du bon nageur à l'égard du noyé qui s'accroche à lui et dont il se débarrasse pour ne pas couler», avait écrit Tolstoï. Le regard vacillant de Tatiana le confirme. L'amour et la haine se confondent dans une quête de l'absolu. La fidélité rejoint le mensonge et la vertu n'est qu'hypocrisie. Le mari d'Anna est représenté, dans ce film, comme l'ange et le diable. Il est l'incarnation parfaite du monde auquel il appartient, plus soucieux des apparences que de la trahison de sa femme. Il accorde à cette dernière son pardon, lui arrange des entretiens avec son amant. Il affiche, en même temps, sa souffrance, sa douleur et parfois sa rancune. Mais Anna ne sait ni mentir ni tricher et assume pleinement sa passion adultère. Au fil des jours, cet amour interdit perd de sa pureté et de sa flamme. Vronski, l'amant, finalement lassé, retrouvera les plaisirs de la vie mondaine, alors qu'Anna s'enfonce dans la solitude. Rien ne lui paraît réel. Tout est illusion, même sa propre existence. Sa quête de la vérité est vaine, elle devient une «femme perdue». Coincée entre les trains qui semblent «scier» l'écran, elle s'abandonne à la mort.