«Le camp des Démocrates doit s'orienter vers la population et le travail de proximité» Après avoir été l'un des fondateurs d'Afek Tounès, et milité dans ses rangs, Emna M'nif avait préféré quitter ce parti, se consacrer et s'activer dans l'action au sein de la société civile depuis novembre 2011. Diplômée de la faculté de médecine de Tunis, où elle enseigne, spécialisée en radiologie, elle est chef de service et membre du conseil d'administration à l'hôpital La Rabta de Tunis, tout en cumulant le rôle de membre du conseil de l'ordre des médecins et secrétaire générale adjointe du syndicat des médecins hospitalo-universitaires. Poussant plus ses activités, elle a crée l'association citoyenne Kolna Tounès plutôt portée sur l'action sociale et culturelle. Dotée d'une lecture exhaustive sur la situation générale dans le pays, elle ne mâche pas ses mots et ne s'empêche pas de renvoyer dos à dos opposition et dirigeants au pouvoir. Le Temps : quelle est votre analyse de la situation générale dans le pays ? Emna M'nif : la situation est chaotique parce qu'aujourd'hui plus que jamais nous entendons des discours dans tous les sens. Nous avons une grande opération de diversion, principalement du côté de l'équipe au pouvoir. Il n'y a pas d'articulation au niveau de l'opposition. On a atteint un niveau déplorable et indécent d'immoralité politique extrêmement dangereux. Les partis islamiques avaient reproché aux Démocrates le fait qu'ils rendaient faisable ce qui est interdit. On voit une immoralité de la classe au pouvoir qui va très loin. Il y a une arrogance inacceptable par la loi et par la morale du pays. Avez-vous des exemples pour démontrer cette immoralité ? J'en ai deux. Tout d'abord cette affaire de Sheraton Gate. Indépendamment de son côté intime et personnel, s'agissant de deniers publics on se presse pour trouver des justifications et parer au plus pressé pour minimiser la gravité de l'acte. Cette classe au pouvoir ne s'est jamais empêchée de dénigrer ses adversaires dans leur vie privée. Aujourd'hui, elle ne se prive pas de reproduire les mêmes avatars dont elle incriminait les autres. Un deuxième exemple : la déclaration de Manar Skandrani à la télévision exposant sa fille née hors mariage officiel. On est dans une justification de tous les dépassements. Une grande arrogance. On est en train de brouiller encore plus la visibilité du citoyen qui ne sait plus à quel saint se vouer. Etes-vous déçue par l'opposition ? Au niveau de l'opposition, nous avons constaté qu'on nous a bercés d'illusions de coordination et de projets d'union. En plus d'un élargissement de la Troïka qui ne se concrétise pas, l'opposition est dans une situation peu claire. Puisque vous êtes active dans le champ social, que pensez-vous de la situation sociale et économique du pays ? Le pays n'a jamais atteint une crise aussi grave. Sur le plan social, il y a un rejet de la chose politique. Dans les régions, les habitants ont l'impression qu'ils sont ignorés et délaissés par les gens de la politique. Il y a des situations où les besoins vitaux sont compromis. Il y a une dégradation du pouvoir d'achat de toutes les catégories sociales. Comment sortir de ce marasme ? Chacun doit assumer ses responsabilités. La sortie de la crise ne peut se faire que si on a un vrai projet global avec ses soubassements idéologiques et un contenu économique et social claire et une prise en compte de la charge culturelle et civilisationnelle du pays. Il faut revenir aux vrais débats du pays. Deux ans après la Révolution, l'avenir est incertain. Il faut mettre fin à l'agitation. Chacun doit arrêter sa position sinon on va continuer à gesticuler et à faire du surplace. Là se situe le danger. Vous-êtes pessimiste. Non ! J'ai un discours réaliste. Et le remaniement ministériel, ça vous dit quelque chose ? Je ne m'attends pratiquement à rien du remaniement ministériel qui puisse conforter et apaiser une situation qui atteint son paroxysme. Il y a un dialogue de sourds. On en parle depuis sept mois. Entre temps, le Gouvernement continue à faire ce qu'il veut. Et la classe politique continue à penser que c'est le remaniement ministériel qui va permettre de sortir de la crise. Il ne faut pas oublier que l'équilibre des forces au sein de l'Assemblée Nationale Constituante est favorable aux partis au pouvoir. Tant que nous avons ce verrou, le camp des Démocrates doit s'orienter vers la population et le travail de proximité auprès de la population. Le vrai enjeu des Démocrates est d'occuper le champ culturel, social et de solidarité pour gagner la confiance de la population. Propos recueillis