Un certain 14 janvier 2010, la Tunisie est ébranlée par des évènements qui auront marqué l'Histoire arabo-musulmane. Les chocs s'entrechoquent et s'accélèrent. Tous les yeux étaient rivés sur ce qui se passait dans ce petit pays connu pour être paisible, tolérant, chaleureux. Un faux Eldorado bâti sur le silence des opprimés. Il y a eu, d'abord, en 2008, les émeutes de Rdaief, creuset de la Révolution. Deux ans plus tard, le peuple tunisien s'insurgea contre la mafia qui le gouvernait durant plus de deux décennies. Carnaval des couleurs et des tensions On est le 14 janvier 2013. Jour emblématique pour tout citoyen tunisien. Jour férié aussi, pour que tout Tunisien puisse fêter le départ du dictateur et de toute sa smala, aussi pour célébrer l'avènement d'une nouvelle ère. Celle des droits humains, de l'équité socio-économique et de la démocratie. Foutaises, leurres ou vérités fondamentales, ces valeurs n'ont encore pas d'existence réelle, deux ans après la chute de l'ancien régime. Les centaines de milliers de personnes qui ont préféré boycotter les festivités, étaient restées bien au chaud, chez eux, préférant regarder à travers leurs écrans ou via les réseaux sociaux l'ambiance de la rue. Néanmoins, des milliers de personnes ont squatté l'artère principale du centre-ville de Tunis, l'Avenue Habib Bourguiba. Répondant aux appels de marches symboliques de leur parti préféré ou tout simplement curieux de voir comment sera cette journée, ces Tunisiens sont allés arpenter l'avenue de long en large. Tantôt badauds, tantôt indifférents, ils étaient les spectateurs des rassemblements et des marches organisés par tel ou tel parti. Sous une haute surveillance policière, les partis le Front populaire, El Massar et le Parti républicain ont organisé une marche symbolique, non pas pour fêter la Révolution tunisienne mais pour célébrer avec les Tunisiens la chute de la dictature. Un rassemblement qui a eu lieu devant la statue d'Ibn Khaldoun et qui a rassemblé des milliers de citoyens entre sympathisants et fêtards. De l'autre extrémité de la grande artère, au niveau de la grande horloge, drapée de la couleur rouge, pour l'occasion, les partisans islamistes du parti Ettahrir ont brandi à leur tour leur drapeau noir et plusieurs slogans. Quant aux escaliers du théâtre municipal, haut lieu symbolique de tous les rebondissements qui ont jalonné le pays, ils ont été squattés par le parti Ennahdha. Des banderoles entourant les lieux. Un gigantesque drapeau de la Palestine couvrant la façade de la Bonbonnière. Des haut-parleurs et plusieurs constituants dudit parti donnaient un discours rythmé par des louanges du parti islamiste. Ils étaient entrecoupés par les chansons qui vantaient les mérites du mouvement. L'animateur, tel un chauffeur de salle, animait la foule et l'incitait à scander l'amour des Tunisiens audit parti. Parlant au nom du peuple entier, il appelait le parti Ennahdha à demeurer inflexible face aux forces ennemies. En somme, un théâtre dans le théâtre où un auditoire tantôt subjugué, tantôt en colère suivait ce qui se déroulait. Une foire aux plus gourmands Entre temps, ces passants drapés par les couleurs nationales, s'accordaient de temps à autre une pause pour papoter, s'incruster dans les petits rassemblements et débats, tendaient l'oreille et se prenaient en photo dans des lieux métamorphosés pour l'occasion. Transformés en lieu de foire, les trottoirs de la grande avenue étaient jonchés de marchands ambulants proposant tout ce qui est comestible et festif. Des bonbons aux amandes et aux cacahouètes, des pop-corn, du kaki, les barbes à papa, il y en avait pour tous les goûts. Certains légumes ont même eu l'honneur d'être exposés aux passants. Entre ces vendeurs des délices d'un jour, d'autres ont choisi de proposer aux fêtards une autre gamme de marchandise visant les grands comme les petits. Des drapeaux de toutes sortes. De ceux qu'on peut porter haut la main, à ceux que l'on peut utiliser comme bandeau sur la tête ou bien d'autres qui servent de cravates. En tissu, en carton ou même en plastique, les jeunes et moins jeunes tunisiens, insatiables en demandaient encore et encore. Quant aux petits, ils avaient l'embarras du choix : ballons, ornements, petits délices sucrés ou salés, jouets, ateliers de dessin, ils trouvaient dans ce festival aux couleurs nationales, leur compte. L'art et le zaweli (misérable) ne sont pas les bienvenus Vers 15h, un groupe assez singulier d'une trentaine de personnes parvenait de l'avenue Mohamed V. Ornés d'affiches, d'ustensiles de peinture et de sifflets, ces jeunes avançaient en faisant un grand fracas pour attirer l'attention des passants. Il s'agissait du groupe de tagguer artistes Zwewla (misérables), dont, rappelons-le, deux des leurs ont été arrêtés par la police et sont poursuivis en justice pour avoir osé peindre sur les murs les maux des démunis. Rejoints par une foule immense, ces jeunes ont fait le tour du centre ville en s'arrêtant le temps d'un entre-acte puis reprenant de plus belle. Arrivés au niveau du théâtre municipal, où les sympathisants du parti Ennahdha assistaient au show de certains constituants dudit parti, leur présence a été très contestée. Pis encore, trois d'entre eux : Oussema Bouagila, Wissal et Sofiène Bouagila ont été agressés physiquement. Sofiène Bouagila aurait été frappé au niveau de la tête par un outil en métal et aurait été transporté aux urgences. Au résultat des courses : six points de sutures pour avoir crié : «Non aux festivités, le zaweli (misérable) est mille fois plus misérable que de par le passé!»