Rares sont les entreprises en Tunisie qui échappent aux difficultés de toute sorte. Après la Révolution, leur nombre n'a fait qu'accroître crescendo. Précarité de bonne gestion, manque de moyens financiers et logistiques, insuffisance de rentabilité, de taille ou de compétitivité, l'entreprise productive tunisienne a toujours souffert de maux structurels. L'ancien système avec ses 10 D particulièrement : le Désintéressement ; la Décentralisation ; la Déréglementation et ses pratiques malsaines n'a fait que favoriser l'inéquité et l'inégalité économique. Quelques personnes favorisées par l'ancien régime et ses alliés s'accaparaient 80% de la richesse nationale. L'explosion du marché parallèle, les pratiques de surfacturation ou de sous-facturation, la corruption...ont dénaturé les règles loyales du jeu du marché. Les banques tunisiennes, notamment celles publiques se sont impliquées directement ou indirectement dans l'appareil corrosif de Ben Ali. Des prêts accordés sans garanties, mauvaise gestion et mal appréciation du risque encouru, des pratiques malsaines. En somme, certains accusent certaines banques de complicité dans le pillage des deniers publics de l'Etat. D'où l'ardoise salée des créances classées des banques de la place outre la crise de sous-liquidité bancaire survenue au lendemain de la Révolution et qui a poussé la Banque Centrale de Tunisie à injecter des sommes faramineuses pour renflouer les caisses des institutions de crédit. Chedly Ayari, le Gouverneur de la BCT a annoncé des mesures visant la restructuration des banques et l'assainissement des assises financières des banques, dont la création d'une société publique de gestion des créances classées. Par ailleurs, un appel d'offres international a été lancé pour sélectionner des cabinets d'expertise qui se chargeront de l'opération d'audit complet sur les trois banques publiques de la place à savoir : la STB, la BH et la BNA Après la révolution, les entreprises victimes, espéraient un meilleur sort et que leur situation allait changer pour le mieux. Elles durent déchanter et se rabattre de leurs espérances. D'autre part les deux gouvernements de transition et le gouvernement légitime de Jebali n'ont esquissé aucun geste dans un sens qui puisse rendre justice aux entreprises citoyennes et victimes, lesquelles se sont signalées pour leur refus de suivre aveuglément le jeu de l'ancien régime où l'ennemi de leurs amis est considéré comme leur ennemi. Où en est-on de la justice économique transitionnelle, se désolent les uns? A-t-on l'intention inavouée de sauver les banques tunisiennes, et de les assainir au détriment des entreprises en difficulté ? Trop d'interrogations qui demeurent sans réponse dans un cadre marqué par l'immobilisme total des structures de l'Etat et de l'administration qui se laissent entraînées dans les chicanes politiques, le souci de partage du pouvoir et les nouvelles formes de querelles idéologiques dogmatiques. « Il ne faut pas sauver les banques au détriment des entreprises » Un homme d'affaires qui préfère garder l'anonymat, se confie à cœur ouvert pour relater les différentes problématiques sus-indiquées. « Aujourd'hui, les entreprises citoyennes qui ont travaillé dans la transparence sont en train de payer lourdement la facture. Les perdants d'hier sont ceux-là mêmes les perdants d'aujourd'hui. Et le système bancaire a contribué malheureusement à l'injustice infligée sur le compte des entreprises citoyennes. La mesure récemment annoncée par la BCT concernant la création d'une société publique de gestion des créances classées, donne à réfléchir. La question est de savoir qu'est ce qu'on entend par gestion et comment va-t-elle procéder ? Il faut savoir que les créances classées dépassent la barre de 10000 milliards de dinars. Ces créances classées sont ventilées en différentes catégories selon leur provenance : Les crédits accordés sans garanties à la famille déchue et ses alliées, les crédits cumulés du secteur du Tourisme et de l'Agriculture et les crédits des entreprises en difficulté. Je parie que les 80% de ces créances accordées ont profité à la famille déchue et ses partisans, ainsi qu'aux hommes d'affaires qui se voient aujourd'hui interdits de voyage et aux hôteliers. Les vétilles qui restaient des prêts accordés revenaient aux PME et aux entreprises en difficulté qui ont fourni des garanties. La question qui se pose comment va procéder cette société de gestion des créances classées. En tant qu'homme d'affaires, je crains que les banques publiques soient sauvées au détriment des entreprises en difficulté. Une telle éventualité si elle venait à se réaliser c'est la catastrophe. A mon avis, il importe de faire un tri pour ne pas pénaliser les entreprises qui ont fourni des garanties. Pour le reste, ils seront acquittés et leurs créances seront abandonnées comme ce fut le cas pour leurs prédécesseurs. Après la Révolution, les mafieux sont devenus des héros. Où est l'équité dans tout cela? Nombreuses, sont les entreprises en difficulté qui sont aujourd'hui condamnées à péricliter, notamment celles classifiées dans la classe 4 des créances bancaires, autrement dit celles où le portefeuille de crédit est trop risqué. Entre temps, certaines banques continuent d'adopter des pratiques malpropres, transgressent la loi en vigueur en appliquant des taux d'intérêt excessifs. Les textes de loi n'en manquent pas, mais c'est au niveau de l'application que le bât blesse. Les banques facturent le temps, qui est la seule énergie non renouvelable. De fait, les hommes d'affaires sont en train de plier bagages. Le climat des affaires est souillé. Crainte de la justice, crainte du bâton fiscal...Bref, le climat des affaires est assimilé à une soupe. Or, si on perd la confiance, c'est la mort des entreprises, et on risquera de se trouver dans le même cas que celui de la Grèce. Aujourd'hui, il est inévitable de trouver un consensus autour de l'entreprise. Il faut réhabiliter les entreprises existantes, rétablir la confiance et redonner la dignité perdue aux entreprises victimes. » Lassaâd Dhaouadi, Conseiller fiscal « La loi sur l'enrichissement illicite devrait s'appliquer aussi bien sur les banques publiques que privées » « Pour débarrasser le secteur bancaire des mauvaises graines, j'insiste sur la mise en application de la loi sur l'enrichissement illicite et qui doit toucher aussi bien les banques publiques que privées. Plusieurs responsables de banques se sont enrichis d'une manière illégale. Aujourd'hui, il faut que justice soit rendue, sauf que le Chef du gouvernement paralyse ce projet de loi. En l'absence de sentence juridique, les malfrats se sentiront plutôt immunisés. Nous sommes aujourd'hui dans un cadre exceptionnel de processus transitionnel, qui nécessite une célérité dans la prise de décision et des procédures administratives simples et gratuites. La justice traditionnelle ne peut pas rendre justice aux entreprises en difficulté. D'où, la notion de justice transitionnelle. Sauf que malheureusement, l'administration est aujourd'hui paralysée et l'on continue explicitement ou implicitement à faire couler l'unité productive tunisienne, notamment par le bais des droits de timbres qui atteignent des niveaux excessifs. Outre la matraque fiscale, l'évasion fiscale calculée à 30 milliards de dinars, le marché parallèle qui pèse 2 fois le PIB national, sont autant de facteurs nuisibles qui condamnent à mort l'entreprise tunisienne citoyenne mais aussi le consommateur. Il faut mettre en place un fichier national de fraudeurs à l'instar de l'Algérie ou encore un système ou structure d'alerte comme c'est le cas aux USA. » Pavé : « Outre la matraque fiscale, l'évasion fiscale calculée à 30 milliards de dinars, le marché parallèle qui pèse 2 fois le PIB national, sont autant de facteurs nuisibles qui condamnent à mort l'entreprise tunisienne citoyenne mais aussi le consommateur. »
Audit complet de la STB, la BH et la BNA Un appel d'offres international a été lancé par le gouvernement pour un audit complet de trois banques publiques : la BNA, la BH et la STB. Slim Besbès, le Secrétaire d'Etat aux Finances, nous a affirmé que cette mesure s'inscrit dans le droit fil du processus d'assainissement des institutions de crédits et de promotion de l'avantage compétitif des banques en attendant l'ouverture du secteur à la concurrence étrangère. L'Ordre des Experts comptables et l'Association des jeunes experts comptables de Tunisie se sont opposés à la décision de soumissionner l'audit complet des trois banques publiques à des cabinets d'expertise étrangers et d'exclure les cabinets nationaux. Pour le Secrétaire d'Etat aux Finances, nos cabinets n'ont pas l'expertise requise pour ce genre de missions. Par contre, nos experts voient autrement et croient fermement en leur capacité d'accomplir cette mission via des consortiums locaux. Pour nos professionnels, c'est une perte d'argent inutile, puisque ces cabinets vont nous coûter les yeux de la tête.
Contributions patronales de 0,5% pour le financement d'un fonds noir (suspect): un fiasco qui lèse la rentabilité des entreprises Lassâad Dhaouadi, nous a édifié sur le cas d'un abus qui persiste encore. Une outrance rattachée à l'application des Articles 57 et 58 de la loi de Finances pour l'année 1975. Selon ce texte de loi, les entreprises versent une contribution de 0,5% (une cotisation patronale) au profit d'un fonds noir ou encore d'une caisse noire appartenant au gouvernement, destinée à financer les activités économiques et sociales. Ces cotisations patronales sont transférées par les Caisses nationales de Sécurité sociale à un nombre limité d'unions patronales. Le reliquat a été servi dans le financement d'activités suspectes. La majorité du butin remplissait les proches du président déchu et ses proches. Selon M.Dhaouadi, ce fonds noir a financé des associations et organisations alliées au système de Ben Ali. Il s'agit selon notre interlocuteur de centaines et de centaines de milliards évaporés. Lassâad Dhaouadi affirme par ailleurs que certains proches de Ben Ali s'appuyaient sur les dispositions des articles 57 et 58 de la loi de finances pour l'année 1975 pour légitimer leur droit à des primes annuelles provenant de la fameuse caisse noire. Certains anciens responsables de l'UTICA ont eu une sacrée chance d'encaisser une enveloppe annuelle de pas moins de 5 milliards. Lassâad Dhaouadi, appelle du fait à la nécessité d'abroger ce texte de loi qui a porté préjudice à la capacité concurrentielle de l'entreprise tunisienne, laquelle continue de financer « ce fonds mystère ». Il appelle également à ouvrir une enquête judiciaire sur le sujet pour incriminer tous ceux qui ont contribué à éponger ces contributions patronales.