La Tunisie négocie avec la BM et le FMI deux nouveaux prêts. Qu'a-t-elle à donner en contre partie ? Le président du groupe de la Banque Mondiale, Jim Yong Kim, était parmi nous la dernière semaine à l'occasion de sa première visite officielle dans la région depuis son accession à son poste. Durant sa visite Jim Yong Kim a effectué une série de rencontres avec des responsables tunisiens à l'instar de Mustapha Ben Jaafar Président de l'Assemblée nationale constituante tunisienne, Moncef Marzouki, Président de la République, Hamadi Jebali, Premier ministre, ainsi que les ministres chargés des ministères à connotations économiques, dont Riadh Bettaieb, Ministre de l'Investissement et de la Coopération internationale, Elyes Fakhfakh, Ministre des Finances, Ridha Saidi, Ministre chargé du dossier économique auprès du chef du gouvernement, Khalil Zaouia, Ministre des Affaires sociales. Jim Yong Kim s'est entretenu, par ailleurs, avec Chedly Ayari, gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie. Il a également discuté avec les autorités tunisiennes la possibilité d'un nouveau programme d'appui budgétaire de 500 millions de dollars. Il a, aussi, évoqué des réformes douloureuses. Lesquelles, devraient toucher aux plusieurs secteurs de l'économie nationale. Mais de quelles réformes parle-t-il ? Et quelles sont les priorités ? Un nouveau Plan d'ajustement structurel ? Un expert assez proche du dossier estime qu'on n' a rien à craindre de la Banque Mondiale. Pour lui, le problème se pose avec le Fonds Monétaire International (FMI). Actuellement en mission en Tunisie, le FMI est sollicité récemment, par le gouvernement tunisien, pour l'obtention d'un accord de confirmation d'un prêt d'un montant de 2,73 milliards de dinars, au profit de la Tunisie, sur deux ans. Ce prêt devrait être, certainement, conditionné, selon cet expert qui précise que le FMI devrait nous impose des réformes qui touchent au plusieurs secteurs de l'économie. Notre interlocuteur parle notamment des réformes structurelles du système bancaire. A savoir l'assainissement du secteur bancaire ainsi que le problème de l'endettement du secteur hôtelier. Ces réformes doivent également englober l'éducation, la stratégie d'emplois, pour en fin luter contre le chômage. La réforme du système fiscal figure également parmi les exigences du FMI. Toujours selon cet expert, la réduction des dépenses de compensation qui ont atteint un niveau record (15% du budget de l'Etat). « C'est un choc qui nous attend », explique cet expert. Est-ce un nouveau Plan d'Ajustement Structurel ? « Ça doit être », estime-t-il, tout en précisant que le FMI va nous imposer ces réformes en contre partie de son aide financière. Et l'administration dans tout cela ? L'expert rétroque que l'Administration serait le facteur clef dans tout ce processus de réformes. « Si l'Administration arrive à supporter cette onde de choc, je dirais bien que la Tunisie pourrait s'en sortir », notet notre interlocuteur. Lassâd Dhaouadi, expert en fiscalité, estime quant à lui, que le recours au FMI ne fait que prouver que le pays devient de plus en plus endetté « bien que le pays dispose de ses propres ressources perdues à cause de la fraude et l'évasion fiscale », explique-t-il. Il avance ainsi que le pays perd annuellement des milliards de dinars. Chiffres à l'appui, Lassad Dhaouadi signale dans ce sens que le chiffre d'affaires de l'économie informelle est presque le double du PIB national ». Il va plus loin en annonçant que jusqu'aujourd'hui le gouvernement n'a pris aucune mesure pour lutter contre ce phénomène. « D'ailleurs, la BM considère que la fraude fiscale est un handicap pour le développement et la croissance économique. Raison pour laquelle, je pense sérieusement que la fraude et l'évasion fiscale sont parmi questions à soulever entre le gouvernement actuel et le FMI », a-t-il précisé. D'autres spécialistes, les plus libéraux particulièrement, pensent autrement. Les réformes que la Tunisie devrait engager ne sont pas nouvelles. Elles sont en cohérence avec les exigences du FMI. On affirme ainsi que la Tunisie connaît bien ses priorités et que les réformes sont bien connues avant même le recours à la Banque Mondiale et surtout au FMI. Le recours à la BM et au FMI est inévitable pour renflouer les caisses de l'Etat et engager ce processus de réformes. Sur un pied d'égalité Chedly Ayari, estime pour sa part, que l'économie tunisienne a besoin de réformes. « Si nous n'engageons pas ces réformes, l'économie risque de s'effondrer ». Ces réformes touchent presque tous les secteurs, tels que le commerce, l'industrie, l'agriculture, les services, le système bancaire etc...Il précise, en réponse aux questions de notre journal, que le président de la BM a affirmé que la BM n'accepte pas l'échec de la Tunisie », histoire de dire que cette institution va soutenir le pays pour réussir sa révolution économique. Nous avons, en revanche, expliqué à ces deux institutions que la Tunisie est en période exceptionnelle de transition. Si elles veulent que la Tunisie réussisse, la BM et le FMI ne doivent pas nous mettre sous pression » Il précise encore qu' « avec la BM et le FMI nous sommes presque d'accord sur les réformes à engager. Ce que nous refusons catégoriquement, c'est que ces deux institutions, nous imposent des objectifs chiffrés. J'ai présidé, côté tunisien, ces négociations. Je vous assure que la Tunisie préserve toujours la souveraineté de ses décisions. J'ai, d'ailleurs, expliqué aux responsables du FMI que par la suite les résultats de ces discussions seront transmises au Conseil des Ministres en Tunisie, qui devra prendre les mesures appropriées ». Le gouverneur de la BCT explique encore que le gouvernement est partant pour engager des réformes, « oui pour des réformes, mais, c'est à nous de fixer le timing et le degré de ces réformes. Tout simplement, c'est à nous de décider quoi, quand et comment réformer. Nous sommes en train de négocier sur un pied d'égalité avec ces deux institutions ». Chedly Ayari, va plus loin en affirmant que la Tunisie pourrait refuser les aides du FMI et de la BM si leurs recommandations ne sont pas conforme avec nos aspirations et nos priorités », a-t-il dit ! Le lapsus de Ridha Bettaieb ! « Nous sommes encore loin d'un accord pour un nouveau prêt », a déclaré Simon Gray, Directeur du département Maghreb à la Banque mondiale, en réponse à la déclaration de Riadh Bettaieb, ministre de l'Investissement et de la Coopération internationale qui a déclaré à l'agence Tap que la Banque mondiale a donné un accord de principe pour un prêt de 500 millions de dollars USD au gouvernement Tunisien pour 2013. Simon Gray, précise que « la Banque mondiale a discuté avec les autorités tunisiennes de la possibilité d'un appui budgétaire additionnel pour 2013 mais nous sommes encore loin d'un accord pour un nouveau prêt. Cela dépendra de la performance du programme du gouvernement pour le renforcement de l'environnement des affaires et la promotion de la transparence et la bonne gouvernance ». Les axes des réformes, selon la BM Selon les experts de la BM, le programme de réformes vise quatre principaux objectifs : améliorer l'environnement d'affaires en allégeant les lourdeurs bureaucratiques, en luttant contre les passe-droits et en renforçant la transparence des investissements ; renforcer la stabilité du secteur financier par des audits stratégiques et une amélioration de la réglementation prudentielle ; réformer les services sociaux essentiels, notamment en améliorant la gestion des programmes d'aide à l'entrée sur le marché du travail pour les jeunes et en instaurant des dispositifs de certification et d'habilitation pour les établissements et pour le personnel de l'enseignement supérieur et du secteur de la santé ; faire progresser la transparence par un meilleur accès du public à l'information et une plus grande transparence dans l'élaboration et le suivi du budget. Sommes-nous dans l'obligation d'obéir au FMI ? En temps de crise, les actions menées par le FMI ne sont pas généralement de bons remèdes aux économies. Les exemples ne manquent pas. L'intervention du FMI dans quelques pays, à l'instar de la Russie en 1988, présentent un très mauvais bilan. Même constat pour la Thaïlande qui s'est trouvé en récession économique même après les réformes exigées par les experts du FMI. Dans une interview accordée au Journal français « Le Figaro », Joseph STIGLITZ, Prix Nobel d'économie explique que « le bilan des programmes d'aide du FMI est à tout à fait catastrophique. L'Indonésie, la Thaïlande, la Corée, la Russie, le Brésil et pour finir l'Argentine: six échecs en moins de six ans, c'est beaucoup! L'ironie, c'est que le FMI débarque dans ces pays en leur demandant d'être extrêmement prudents, de pratiquer l'austérité budgétaire. Après toutes les mauvaises dépenses qu'il a lui-même engagées ». Pour le Nobel d'économie, les pays qui ont fait le contraire de ce que préconisait le FMI, à l'instar de la Malaisie, ont subi la crise la plus courte. La Tunisie, compte tenu des chantiers qu'elle n'a pas encore engagés, compte beaucoup sur les aides du FMI. Sommes-nous les autres ?