❏ Des obsèques aux allures d'un référendum populaire de voix de la liberté et de la démocratie ❏ Un million 400 mille citoyens ont accompagné notre regretté Chokri Belaïd, selon les premières estimations du ministère de l'Intérieur «Repose-toi mon compagnon, repose-toi mon frère, repose-toi mon cher ! Repose-toi à Sakyet Sidi Youssef. Adieu Chokri ! Adieu tu n'es pas mort !tu demeureras en vie ! Nous te sommes fidèles et on ne trahira jamais la patrie !», c'étaient les dernières paroles proférées par le militant Hamma Hammami à notre héros national Chokri Belaied, assassiné froidement le 6 février devant chez lui. Une missive d'adieu digne d'un martyr qui a payé de sa vie la parole libre et la misère des oubliés. En ce vendredi 8 février la Tunisie a fait ses adieux à l'un de ses plus vétérans et intrépides militants. Une foule humaine s'est rassemblée autour de la maison de culture de Jbal Jloud. Citoyens tout âge, sexe, appartenance et classes sociales confondus. Bravant le spectre du terrorisme que certaines forces obscures tiennent à instaurer, ils étaient plus d'un million et demi à suivre le char militaire transportant le martyr de la patrie, Chokri Belaied. Un char auréolé de fleurs. Une procession nationale millionnaire On était 10h passé. Les routes étaient bordées de voitures qui tentaient de se frayer un chemin dans cette foule humaine. Les trottoirs étaient jonchés de piétons qui avançaient vers une seule et même direction : la demeure de notre regretté Chokri Belaied. Enveloppés du drapeau national, brandissant une multitude de slogans et le portrait du martyr de la patrie, ils avançaient tristes, affligés et émus. On s'entre-aidait, on se souriait, on tendait la main quand une personne voulait se hisser pour faire ses derniers adieux à notre héros national. Parfois, l'émotion était à son comble et on se bousculait pour avoir une meilleure visibilité. On attendait tantôt patients, tantôt Un rassemblement tout à fait spontané qui a réuni des centaines de milliers de Tunisiens dont la quasi-totalité n'a jamais connu ou rencontré Chokri Belaied, et qui, pourtant, était là pour lui rendre un dernier hommage. Lui, qui n'a cessé d'appeler à l'union populaire, au dialogue, à la réconciliation rappelant l'urgence d'une classe politique unie pour une Tunisie solide et un peuple solidaire, a réussi, par sa mort tragique, à réunir ces Tunisiens tiraillés par la discorde politique. Plus on avançait, plus le nombre des personnes s'accroissait et plus l'émotion gagna les présents. On scanda l'hymne national des centaines de fois. On brandissait le drapeau national, les roses rouges et les messages patriotiques. On exhorta le gouvernement actuel à quitter le pouvoir, on appela à la dissolution de l'Assemblée nationale constituante et au départ du chef du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi à quitter le pays. Un peuple inconsolable Au fur et à mesure que l'on s'approchait de la maison de culture de Jbel Jloud, l'émotion grandissait jusqu'aux entrailles. L'on est subjugué, dolent, morose, affligé, endeuillé et ému par cette foule sentimentale qui submerge et transperce et le cœur et l'âme. Nul mot ne saura décrire la tristesse et la grandeur d'un moment pareil. On sonde nos cœurs pour y trouver la force de supporter cette grande et tragique perte pour la patrie. Des femmes et des hommes de tout âge en pleurs. Les uns s'effondraient, les autres s'enlaçaient. On s'épaulait, on se consolait mais les larmes étaient là. Notre perte est grande et notre mal est indicible. La Tunisie fait ses derniers adieux à une personne tuée cruellement pour avoir dit tout haut tout ce qui se trame tout bas, dans les coulisses ténébreuses de la trahison de la nation. A la vue du cercueil auréolé de roses et protégé par l'armée sur le char, comme le veulent la tradition des obsèques nationales dignes d'un héros, les citoyens se bousculèrent et tentèrent de figer à jamais cette image, graver dans la mémoire collective un moment historique que nul n'oubliera. Durant deux heures de temps, on accompagna la dépouille de notre cher et regretté militant et héros national Chokri Belaied, dans une sorte de procession quasi-religieuse jalonnée de temps à autre par l'hymne national et l'appel à la lutte nationale. Auprès du cimetière, les gens commençaient à s'impatienter. Les coups de fil ne cessaient de s'accroître. «Vous en êtes où ?», «Vous êtes à quel niveau ??», «Où se trouve le cercueil ? Allez-vous bientôt être là ?». on s'appelait pour se rassurer que tout allait bien, que le char avançait doucement parce qu'il y a une foule immense qui l'entoure. Le char avançait, sur le toit, il y avait les roses où était debout, fièrement et vaillamment la fille aînée de notre héros et martyr national Chokri Belaied. Digne dans son deuil et fière à l'image de son père, Nayrouz demandait tantôt aux citoyens de bien vouloir avancer, tantôt affichant le signe de la victoire au peuple qui la regardait médusé par tant de courage malgré sa grande perte et son jeune âge. Faudrait-il dire qu'elle a bien toutes les raisons de l'être ? Qui ne serait pas fier d'avoir un père pareil ! Du gaz lacrymogène pour disperser les casseurs Arrivés auprès du cimetière, tous les ponts étaient surpeuplés, les rues bondées, la montagne de Jallez ressemblait plus à une fourmilière humaine qu'à autre chose. On sentit l'odeur du gaz lacrymogène. On voyait les gens rebrousser chemin, le nez bouché par du papier mouchoir ou enveloppés par des écharpes. La panique commença à gagner la foule. On entendit des tirs. On nous parla de casseurs qui vandalisaient les boutiques et les voitures garées à proximité. Il pleuvait des cordes et le gaz lacrymogène continuait à infester les lieux et à asphyxier la foule millionnaire. Certains, effrayés, ont préféré prendre la poudre d'escampette avant que ça ne barde. D'autant plus que les nouvelles arrivées du centre ville n'étaient pas du tout réjouissantes. Néanmoins, les centaines de milliers de personnes, déterminés, ont continué la procession et ont accompagné, sous le gaz lacrymogène et dans la folie, notre martyr de la parole et de la patrie jusqu'à sa dernière demeure. Ils se savaient menacés, en danger de mort, ils savaient que leurs voitures étaient sûrement pillées ou ont pris feu, mais ils nous disaient : tant pis, on est là. Chokri a bien payé de sa vie pour nous ! Que valent nos biens devant cette perte ? !» Un moment historique que la Tunisie n'oubliera jamais. Mort miliant, Chokri est devenu un mythe, un leader, une figure politique nationale que nulle n'oubliera. Adieu héros de la patrie. Adieu martyr de la parole libre.