« Zindeeq »dixième film du réalisateur palestinien Michel Khleifi est une autre déclinaison d'un projet qu'il n'a cessé de porter depuis « La mémoire fertile » en 1980 : arrimer la Palestine dans le présent la projeter dans un futur en rupture avec le passéisme qui empêche toute remise en question et surtout ferme les portes de la modernité à une société qui y est déjà à son insu. Pour cela, il est impérieux d'humaniser la Palestine de la penser autrement qu'en tant que symbole figé coupé de la dynamique de l'histoire. Posture iconoclaste qui a valu à Khleifi, l'incompréhension des partisans de la cause palestinienne et le rejet des pro-sionistes. Pour le réalisateur de Nazareth installé en Belgique depuis le milieu des années 70, au fondement du mal, il y a l'homme palestinien dans sa virilité synonyme de surpuissance, le salut pour la cause passe par la démythification de ce statut, ce qu'il qualifie de « Dévirilisation » de la société. Le personnage de Zindeeq incarné par Mohamed Bakri épouse l'espace d'une nuit cette trajectoire qui le mène du statut de symbole à celui d'humain avec ses failles et ses remises en question. Cinéaste installé en Europe, le héros du film est amené à retourner à Nazareth pour assister aux funérailles de son oncle et terminer un film sur la Nakba de 1948. Une question le taraude pourquoi les Palestiniens ont-ils choisi de rester ? Un meurtre commis par un des membres de sa famille et le risque de représailles vont être à l'origine d'une nuit d'errance au cours de laquelle le personnage sera appelé à réévaluer ses choix à assumer sa propre fragilité à s'humaniser en quelque sorte. Séducteur dans l'âme, le réalisateur est secondé par une jeune femme (Mira Awad) avec laquelle il entretient une relation orageuse du fait de ses infidélités à répétition. Evoluant linéairement, le film bascule à la tombée de la nuit dans un monde où la réalité se retrouve parasitée par un monde onirique, où le souvenir, les fantasmes et les obsessions du héros viennent à se bousculer amenant progressivement sa métamorphose. Dans son errance, le réalisateur est seul avec sa caméra qu'il actionne par moments pour voir, revoir (?) les interviews qu'il a tournées avec des Palestiniens qui ont vécu 48, mais aussi des images documentaires tournées çà et là autour de l'enfance et aux alentours du mur de la honte. «Zindeeq », hérétique( en arabe) le personnage principal du film l'est dans son extériorité par rapport au monde, son donjuanisme et sa lâcheté. C'est grâce au cinéma et la distanciation qu'il rend possible que le réalisateur sera appelé à questionner son regard sur le monde et à finalement agir. Le choix de concentrer l'essentiel du film en une nuit leste « Zindeeq » d'une magie qui légitime ce passage sans heurts de « Zindeeq » du naturalisme à un palimpseste où se superposent différents niveaux de réalité. Le relâchement du scénario à l'arrivée de la nuit dans le sens d'une perte de sa cohérence imprime au film densité et mystère. C'est à travers ce geste éminemment moderne où viennent à se mélanger réalité et fiction, mémoire et histoire que la maturation du personnage devient possible ainsi que sa rédemption finale. Il est dommage que Michel Khleifi ne soit pas allé plus loin dans la radicalisation de son dispositif en se délestant de toute vraisemblance pour faire de cette nuit un moment de lyrisme pur au cours duquel seule la poésie filmée serait aux commandes.