Je suis étonné - et le mot est faible - par les qualificatifs utilisés par certains journaux de la place pour parler de l'ex-président irakien Saddam Hussein, exécuté samedi dernier au terme d'un parcours politique des moins glorieux, porté par la haine, la violence et la destruction. ''Al-Moujahed'', ''al-Fares'', ''al-Batal'', ''al-Chahid'' (le combattant, le chevalier, le héros, le martyr...), et j'en passe, sont les qualificatifs plus utilisés à cet égard, et qui puisent - délibérément ou par une sorte de réflexe culturel - dans le registre grossissant du sentiment, voire du ressentiment, brouillant par là même toute approche rationnelle de l'événement et de ses conséquences sur l'histoire de l'Irak et de toute la région. Certes, l'homme Saddam a été digne jusqu'au bout. Il n'a pas tremblé devant la potence dressée par ses ennemis, vainqueurs par procuration d'une guerre qui est loin d'être achevée. De même, sa condamnation à mort, si elle est méritée, eu égard aux crimes qui lui sont reprochés, n'en a pas moins été absurde. Car elle fut l'aboutissement d'un procès mal préparé, mené dans des conditions discutables et bouclé à la sauvette. On peut également reprocher aux Américains, improbables vainqueurs d'une guerre dont l'issue reste encore incertaine, d'avoir hâté la fin de l'ex-président, afin d'éviter que son procès ne débouche sur des aveux qui mettent en cause leur responsabilité, directe ou indirecte, ainsi que celle de leurs alliés occidentaux, dans les crimes contre l'humanité reprochés à Saddam et ses co-inculpés. On peut enfin critiquer les Iraniens et leurs obligés au sein de l'exécutif irakien actuel, notamment le Premier ministre Nouri Al-Maliki, qui se sont montrés plus soucieux d'assouvir un désir de vengeance que de faire triompher la justice, faisant ainsi rater à leurs concitoyens, chiites, sunnites et kurdes confondus, l'occasion de faire la lumière sur certains épisodes tragiques de leur histoire récente, d'apaiser leur mémoire meurtrie et de faire ainsi un pas vers une réconciliation nationale, devenue aujourd'hui aussi inespérée qu'improbable. Tout cela doit être dit, répété, analysé et considéré sous tous les angles. Mais quels que soient les erreurs politiques des uns et des autres, leurs manquements éthiques et leurs petitesses - et le mot est faible, appliqué aux Bush, al-Maliki, al-Sadr et Ahmadinejad, curieusement unis dans l'ignominie -, ils ne sauraient absoudre Saddam de ses fautes, ni faire oublier ses crimes contre son propre peuple et encore moins justifier les hymnes à sa gloire dont on nous gratifie depuis quelques jours. Non, l'ex-président irakien n'a pas été un combattant, ni un chevalier et encore moins un héros. Il ne saurait donc être comparé à l'illustre résistant libyen Omar Mokhtar ou au grand leader réformateur égyptien Mohamed Ali, comme l'a fait du reste, avec une impardonnable légèreté intellectuelle, Me Néjib Chebbi - que ses camarades démocrates lui pardonne! -, ni être considéré comme un martyr, car ce serait faire injure à la mémoire des centaines de milliers d'Irakiens qu'il a fait exécuter, gazer et enterrer dans des fosses communes. Il ne saurait non plus se transformer, après sa mort, en un ''wali salah'' (saint homme) dont le mausolée serait fleuri chaque jour par des partisans zélés et des zélateurs oublieux de ses innombrables crimes passés. Saddam a disparu, comme ont disparu avant lui des dizaines d'autres criminels de l'humanité, comme Hitler, Staline, Pol Pot ou Pinochet. Nous respectons sa mémoire d'homme. Nous critiquons le comportement honteux de ses ennemis. Mais nous refusons d'oublier ce qu'il fut ou ce qu'il a fait et qui reste marqué, dans les annales de l'Histoire, du sceau de la cruauté et de l'infamie.