Le voyage de Sadok Bey en Algérie le 15 septembre 1860, n'était pas dans le but de visiter un pays frère et voisin. Le fait que l'Algérie était occupée, voilà déjà trente ans à l'époque par la France, ne prenait pas à cœur le souverain tunisien qui bien plus estimait que l'intervention de ce pays européen dont il était exceptionnellement émerveillé, fut une solution salvatrice pour l'Algérie voire pour tout le Maghreb. Il allait donc pour y rencontrer l'empereur français, Napoléon III qui s'y trouvait en visite officielle, et qui devait en même temps rencontrer le roi du Maroc. Ce n'était pas donc un voyage à son initiative, mais à celle de Napoléon III qui a choisi cette période de l'année pour se réunir à Alger avec les souverains des deux autres pays du Maghreb, façon de mettre en exergue son hégémonie et la grandeur de son pays. Ahmed Bey 1er avait fait auparavant un voyage à Paris et fut reçu avec les honneurs dus à un souverain du même rang que lui. Mais depuis les choses avaient bien évolué. Du temps de Ahmed Bey 1er, le souverain tunisien était encore considéré comme étant le protégé de l'Empire Ottoman quoique ce souverain essayât de se libérer le plus possible de l'ascendant du sultan turc, tout en gardant d'assez bonne relation avec celui-ci, profitant de certains avantages d'ordre matériel ou moral. Il eut en effet le titre de mouchir équivalent à celui de Maréchal dans l'armée française. Cependant, c'était lui qui avait ouvert la porte à l'intervention des Français en Tunisie, en faisant appel à des ingénieurs et des hommes d'affaires lors des réformes qu'il avait entreprises. Son successeur Mohamed Bey essaya de se rapprocher du Sultan Ottoman en lui envoyant un contingent lors de la guerre de crimée. Le consul français Léon Roches lui adressa d'ailleurs, au nom de son gouvernement des remontrances à ce sujet. Ce qui l'incita à retourner casaque et promulguer une sorte de pacte de paix, ou Ahd El Amane en 1857, préalablement à la constitution qui sera promulguée par son successeur Sadok Bey, en 1861, instituant en quelque sorte une monarchie constitutionnelle. Mais la situation économique du pays laissait à désirer, surtout avec les malversations du ministre véreux Mustapha Khaznadar ayant même aidé le responsable de la trésorerie, Mahmoud Ben Ayed à se barrer avec la caisse. Sadok Bey Profita de son voyage en Algérie pour avoir une entrevue avec l'empereur Napoléon III en tête-à-tête et demanda son aide et son soutien. Des historiens français relataient cette rencontre comme étant un témoignage de la grandeur et de l'hégémonie de la France, l'empereur ayant réuni dans cette rencontre le Bey tunisien et le sultan du Maroc. "Le Bey tunisien ainsi que le sultan du Maroc s'étaient déplacés spécialement en Algérie pour rencontrer l'empereur" écrivait Edouard Cordin. Quant à l'historiographe tunisien de l'époque et non moins ministre de la plume, Ahmed Ibn Abi Dhiaf, il souligna que Sadok voulait exprimer sa sympathie et son amitié à l'empereur, ainsi qu'à la France. Il fit remarquer que Sadok Bey remit en main propres à l'empereur, une copie du texte de la constitution avant même sa promulgation et que cela lui valut d'être décoré du grand cordon de la légion d'honneur". A son retour à Tunis le 21 septembre 1860, il se lança dans des dépenses folles, dans des projets où intervenaient des hommes d'affaires français, et à l'occasion desquelles, aussi bien Léon Roches que le ministre Khaznadar et après lui, le ministre Ben Ismaïl avaient tiré le maximum de profits, menant le pays petit à petit vers la Banqueroute. La crise financière engendra des émeutes en 1864, conduites notamment par Ali Ben Ghedhahem. Le recours par le Bey à une intervention de la France était la seule issue pour ce souverain tiraillé et dans l'impasse. Cette rencontre du Bey avec l'empereur était un pavé jeté sur la voie du colonialisme.