Tous les acteurs politiques aussi bien du triumvirat au pouvoir que de l'opposition s'accordent à dire que la liberté de la presse est le plus grand acquis de la Révolution, tant il est vrai que le paysage médiatique national naguère sclérosé par plusieurs décennies de discours uniforme et d'inféodation aveugle au pouvoir a connu une grande mutation. La Tunisie est, en effet, passée d'une presse à la botte de l'ex Président, autrefois couvert d'éloges à longueur de colonnes, à une explosion libertaire sans précédent dans le monde arabe. Quelques heures seulement après la fuite précipitée de Ben Ali en Arabie Saoudite, la profession a tenté une révolution dans la révolution. L'Agence tunisienne de la communication extérieure (ATCE), l'arme de propagande de l'ancien régime, a été démantelée. Une refonte totale du code de la presse a également été opérée alors que les lignes éditoriales ont subi simultanément un grand toilettage. Depuis, c'est la voix de la rue qui s'exprime sur les ondes et s'imprime sur les journaux malgré de nombreux dérapages professionnels et un difficile apprentissage de l'indépendance … Il n'empêche qu'une question se pose désormais avec acuité. La liberté de la presse acquise grâce à la révolution est-elle un acquis irréversible ? Cette question était, entre autres, au centre d'un séminaire organisé hier à Tunis par la Fondation allemande Konrad Adenauer et l'Agence Tunis Afrique Presse (TAP) sur le thème « L'Agence de presse : la liberté de la presse et l'éthique professionnelle ». Le temps de la soumission est révolu Le PDG de l'agence TAP, Mohamed Taïeb Youssefi, n'a pas manqué de rappeler, dans son allocution d'ouverture que la liberté de la presse constitue la pierre angulaire de la transition démocratique, tout en indiquant que le respect des règles déontologiques sont la principale garantie de la préservation de cette liberté. Il a également souligné la nécessité d'élaborer un code d'honneur ou un code de bonne conduite de nature à permettre une auto-régulation de la presse, tout en insistant sur l'importance de la formation et du recyclage des journalistes. Le ministre conseiller auprès du Chef du gouvernement chargé des affaires politiques, Noureddine B'hiri, a, quant à lui, estimé que les médias jouent un rôle de premier plan dans la transition démocratique. Il a également fait savoir que le gouvernement n'a aucun intérêt à faire main basse sur le secteur de l'information. « Mieux vaut tolérer certains dérapages médiatiques que d'avoir des médias soumis et domestiqués », a-t-il affirmé. M. B'hiri a, d'autre part, indiqué que les journalistes sont capables de réformer leur secteur eux-mêmes de manière progressive d'autant plus que l'indépendance et la neutralité relèvent de l'évolution et non pas de la révolution. Le représentant permanent de la Fondation Konrad Adenauer en Tunisie, Hardy Ostry, a fait savoir que l es dérapages professionnels ne sont pas la plus grande menace qui guette la presse. « C'est le spectre d'un retour en arrière qui hante les journalistes», a-t-il indiqué, rappelant que la Tunisie a reculé de 4 places dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse réalisé par l'organisation Reporters Sans frontières en raison notamment des agressions subies par les journalistes. Transition médiatique encore fragile Membre de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) et enseignante à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, Rachida Ennaïfer a indiqué que la liberté de la presse n'a pas encore atteint le point de non-retour en Tunisie. « Le pouvoir affirme aujourd'hui qu'il ne veut plus faire main basse sur les médias. Cela n'est pas suffisant pour garantir la liberté de la presse ». L'universitaire a indiqué que la première période transitoire a permis de mettre en place un important arsenal juridique garantissant la liberté de la presse , dont notamment les décrets loi 115 et 116 et le décret loi sur le droit de l'accès à l'information alors qu'une régression a été constatée au niveau du projet de Constitution en cours d'élaboration. «La troisième mouture de la Constitution stipule que la liberté de la presse est garantie sans aller jusqu'à ériger cette liberté en droit constitutionnel. Dans ce projet de texte fondamental, le droit de l'accès à l'information a été, quant à lui, limité par l'intérêt général sans mentionner que cette limitation ne doit pas porter atteinte à l'essence de ce droit », a-t-elle précisé, signalant qu'«il est encore temps de rectifier le tir ». Mme Ennaïfer a, par ailleurs, déclaré qu'une avancée notable a été réalisée sur le plan institutionnel avec la naissance de la HAICA. Elle a, cependant, affirmé que l'article 121 du projet de Constitution qui évoque une instance de régulation du secteur de l'information pourrait conduire à une résurrection du ministère de l'Information de sinistre mémoire, tout en soulignant la nécessité de la mise en place d'un organe d'auto-régulation pour la presse écrite.