Jia Zhang-Ke est un des cinéastes chinois les plus en vue de sa génération. Depuis « Pickpocket » son premier long-métrage réalisé en 1998, tous ses films ont régulièrement été sélectionnés en compétition officielle aussi bien à Venise qu'à Cannes. Alternant avec le même bonheur documentaire et fiction, le cinéaste chinois s'est toujours imposé grâce à un style qui a su marier ces deux approches en injectant de la fiction dans ses documentaires( 24 City) ou en imprimant à ses fictions une esthétique documentaire ( décors naturels, caméra portée, travail en lumière existante …). Jia Zhang-ke présente cette année « A touch of sin », son dixième film, une fiction sur le thème de la violence dans la Chine contemporaine. Fidèle à une ligne de conduite qu'il s'est imposé dès ses débuts, le réalisateur chinois s'attaque au refoulé de l'histoire officielle de son pays. « A touch of sin » consiste en quatre variations sur la violence, à travers les trajectoires croisées de quatre personnages. Indignés, harcelés, vivant dans l'urgence et la précarité mais aussi vivant la violence comme une forme d'attachement à la vie, les personnages sont en mouvement dans une Chine en recomposition. Sujets ou auteurs d'actes de violence (à l'instar de Zhou San, le tueur à gages de la seconde histoire) les antihéros de « A touch of sin » sont tous victimes d'une violence plus pernicieuse, celle sans visage du capitalisme triomphant qui écrase tout sur son chemin, laissant derrière lui une humanité en souffrance. Organisé sous la forme d'un passage de témoin souvent formel (un mouvement de caméra ou une sortie de champ abandonnant un personnage pour en suivre un autre et inaugurer de ce fait une nouvelle histoire) entre les différentes histoires, le scénario se clôture sur un retour au point de départ du prologue du film. Le cinéma de Jia Zhang-ke avait jusqu'à ce dernier film séduit par la liberté de sa forme, la fausse nonchalance de sa mise en scène et son minimalisme. « A touch of sin » se veut de l'aveu même de son auteur, un hommage à un genre cinématographique typiquement chinois, le « Wu-xia » , film d'arts martiaux que l'auteur aurait implanté dans la Chine contemporaine, le film est en effet émaillé de scènes de violence très crues dont le surgissement est soudain et spectaculaire, à l'image de certains films du réalisateur japonais TakeshiKitano ( d'ailleurs coproducteur du film). Ce détour par le cinéma de genre ne s'est pas fait chez Zhang-ke au détriment du style qui lui est propre et c'est à ce niveau que le bât blesse, la synthèse ayant du mal à se faire entre les codes du genre et l'esthétique plutôt contemplative du réalisateur chinois. « A touch of sin » est victime par ailleurs d'un surcroît de didactisme du fait d'avoir été trop écrit, la mécanique scénaristique est trop apparente chez un cinéaste dont tous les films antérieurs étaient travaillés essentiellement par des questions de mise en scène généralement adossées à un récit minimal. Si on ne peut que saluer la prise de risque qui est la marque de tous les grands cinéastes, « A touch of sin » reste frustrant et en deçà des attentes légitimes que peut susciter chaque nouveau film d'un des plus importants réalisateurs contemporains. De notre envoyé spécial : Ikbal Zalila