Oh liberté quand tu nous prends ! Liberté qui n'est pas ce que tu es. Tu es le mouvement de nos pas sur le trottoir parce qu'on marche, tu es les mots qui sortent de notre bouche parce qu'on parle, tu es le flux de messages dans notre système nerveux parce qu'on pense. Mais ce n'est pas parce qu'on marche dans la rue, qu'on parle dans des assemblées et qu'on réfléchit en aparté, que tu es là. La liberté n'est pas là pour justifier les interdits, car ces derniers sont ceux que nous avons biffés de notre vie, de notre quotidien, de notre passé également. Oui, c'est possible, tout est possible, les instruments du moment sont beaucoup plus impressionnants que les effaceurs de mémoire de «Men In Black», par égard aux mœurs et aux traditions. À la nature de l'être humain aussi, et par extension du citoyen, du fils, du père (du Saint-Esprit ?), de l'élève, du mari, du gendre, de l'employé, etc. Car nous avons toutes les libertés, c'est certain. À l'intérieur de chacun de nous, comme un code numérique plus rigoureux que les empreintes, il y a une CIH (carte d'identité humaine) qui détermine la nature de l'être humain, sa position dans le monde, son rang dans sa famille, ses rapports avec la religion, et la place qu'il occupe au sein de la société. Certains rusés que nous rencontrons dans la communauté n'ont pas besoin d'inspecter les cartes de reconnaissance que cachent des personnes dans leur portefeuille, pour savoir s'il est libre des interdits, et si sa liberté est un interdit ou pas vis-à-vis du reste de la société. La CIH, tout à fait reconnaissable, en dit long sur l'individu et le traitement qu'il doit recevoir. Ainsi, petit, si tu n'es pas un privilégié pourvu de la CIH, dis à maman et papa de lever les petits interdits, puisque tu n'auras jamais l'occasion d'en être libre dans toute ta vie, aussi longue sera-t-elle, si elle a la chance de ne pas être écourtée. Dis leur d'arrêter leurs « fais pas ceci, fais pas ça », et de te laisser jouir pleinement de cette liberté occasionnelle. Et s'ils pensent aux traditions, aux mœurs et je ne sais à quoi d'autres, dis leur que ce que les traditions ne savent pas qu'elles peuvent lui faire du mal ou pas. La vie est faite de petits instants furtifs, éphémères auxquels il faut succomber pour se satisfaire, car ce sont les seuls que nous avons, et qui nous marquent à jamais par leur originalité, par leurs conditions, leur goût, leur odeur, leur durée, leurs noms également. Alors il n'y a pas de mal à ce que petit Humain ne « respecte » pas son institutrice, qu'il ne fasse pas ce qu'elle lui demande de faire, qu'il lui rende l'insulte - qu'elle ne doit normalement jamais lancer parce qu'elle est censée donner l'exemple -, qu'il lui sorte respectueusement la langue quand elle voit qu'il n'a pas fait ses devoirs, qu'il fasse longtemps l'école buissonnière lorsqu'elle demande à voir ses parents, et qu'il lui rappelle qu'il n'est pas question qu'elle exerce son despotisme et sa frustration sur lui, parce qu'elle est soi-disant elle-même sujette à la dépression. Il n'y a pas de mal, parce que demain ce ne sera plus le cas. Donc il n'y a pas de mal à ce que plus grand petit Humain regarde des films du genre réservé aux adultes. Il est préférable que papa et maman fassent comme s'ils n'avaient rien remarqué, et qu'ils ne se réveillent pas au milieu de la nuit pour voir ce qu'il regarde à la télé, qu'ils ne lui ordonnent pas de se coucher à onze heures du soir pour ne pas lui laisser l'opportunité de zapper - fortuitement - jusqu'à la chaîne qui réserve un jour par semaine sa soirée à un film érotique, que même certains parents interdisent à leurs enfants de trente ans. Et c'est inutile, parce que vous savez, petits, que vous êtes beaucoup plus intelligents que vos parents qui ne savent pas comment marche une télécommande, et vous savez comment vous débrouiller pour réaliser cet interdit. Il n'y a pas de mal, parce que demain ce ne sera plus du tout le cas. Il n'y a pas de mal à ce que grand Humain « écrase » à dessein un gamin sur sa route, c'est l'occasion pour lui de se sentir puissant, de pouvoir agir sur l'existence de quelqu'un d'autre, de voir qu'il a été lui, oui lui, la cause de cette fracture, de cette hémorragie, de ce coma. C'est si bon de se sentir puissant face à la vulnérabilité de l'autre ! Il n'y a pas de mal non plus à ce qu'il « trompe » sa femme, qu'il succombe ainsi à sa bestialité, qu'il honore son humanisme, qu'il fasse pleurer cette épouse parce que son mari s'est permis «l'interdit». Car c'est seulement cela, c'est la notion, elle-même, qui fait du mal et qui impose les règles ! Il n'y a pas de mal non plus à ce qu'il « abandonne » ses parents, qu'il les laisse dans une maison de retraite, qu'il ne les « visite » jamais, qu'il ne vienne que le jour où ils seront déjà morts. Bien sûr, qui leur a dit de le mettre au monde ! Il n'y a pas de mal, puisqu'il est né, et que dans quelques minutes il ne sera plus libre, de lever des interdits inavouables. Mais ainsi ne sera-t-il jamais ?