Ayant débuté depuis plus d'une semaine, les contestations qui ont démarré à Istanbul avant de s'étendre à la plupart des grandes villes turques marquent la cassure profonde entre le parti islamique au pouvoir depuis 2002 et une grande partie de la population. L'ampleur prise par ce mouvement de protestation donne à réfléchir quant au consensus rejoint par des groupes très divers, faisant fi de leur divergences politiques, religieuses et ethniques, emportés par un seul élan :la détestation massive du gouvernement islamiste de Recep Tayyip Erdogan. Cette mobilisation populaire ne semble pourtant pas se diriger contre la légitimité du pouvoir de M.Erdogan, démocratiquement élu, mais plutôt contre sa manière jugée exagérée d'imposer à la société turque des choix personnels qui ne sont pas toujours en conformité avec le mode de vie habituel. En voulant imposer ses choix et ses goûts, transformés parfois en obsessions intolérables, difficilement applicables dans le contexte laïque turque, le leader du parti islamique incarne l'image d'un pouvoir autoritaire n'hésitant pas à réprimer violemment tous ceux qui s'opposent à la réalisation de ses projets. Deux morts, plus de mille cinq cents blessés, plus de mille arrestations constituent le triste bilan de la répression excessive des forces de l'ordre contre les manifestations entamées le 30 mai dernier à la place Taksim. Ce mouvement né d'une volonté populaire de mettre fin à l'hégémonie exercée par un pouvoir, sous couvert de disposer de la légitimité des urnes, agit en imposant ses choix idéologiques afin de transformer le pays à sa guise. Autant ,il est à l'actif de M. Erdogan l'important développement positif qu'a connu la Turquie pendant ces dix dernières années, devenue une puissance mondiale non négligeable, autant il est resté dans sa manière d'agir avec son peuple un conservateur conditionné par les mirages que donne l'exercice du pouvoir. Un peuple qui ne demande que du respect et de la dignité. Un peuple qui réclame la démocratie principale garante de la pluralité, de la diversité et de la participation. Cette révolte qui n'est pas dirigée contre la dictature d'un clan au pouvoir, ne marque-t-elle pas plutôt les limites d'un régime islamo-conservateur qui voudrait imposer une morale religieuse inadaptée à un contexte spécifique? L'autre grande donne reste évidemment les répercussions de ces manifestations et surtout de la manière musclée utilisée par le pouvoir pour les réprimer sur le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne. Les manifestations de cette semaine ne vont-elles pas accroitre l'hostilité des pays européens à une réelle adhésion de la Turquie, pays de 76 millions d'habitants? Enfin, la poursuite de ces évènements n'engendrerait-elle pas des répercussions qui risqueraient d'accentuer la guerre civile en Syrie, pays voisin de La Turquie?