Le dernier livre publié par Mohamed Errahmouni attire l'attention tout d'abord par son titre accrocheur et par l'actualité relative de son sujet. En effet, ce sont là deux critères parmi les plus déterminants dans l'achat et la lecture d'un ouvrage d'étude et de réflexion. Ce qui peut d'autre part motiver l'intérêt pour ce livre, ce sont deux sortes d'aveux que l'auteur, universitaire rompu à la recherche fouillée et objective, confesse dès l'avant-propos en précisant que son œuvre ne remplit pas tout à fait les conditions d'une monographie académique digne de ce nom et qu'elle trahit une bonne part de sa propre subjectivité d'autobiographe. Le ton paraît donc sincère et incite d'emblée à une lecture attentive, voire même indulgente du livre, lequel se compose de quatre grands chapitres consacrés successivement à la présentation des principales formations et personnalités laïques tunisiennes, à la question nodale de l'identité arabo- musulmane placée au cœur des débats politiques d'hier et d'aujourd'hui, à la politique entriste suivie par la gauche tunisienne sous les régimes de Bourguiba et de Ben Ali et enfin aux rapports de conflit et de complémentarité entre Bourguiba et la Gauche. Des vices « de forme » « Les Laïques en Tunisie » est d'une valeur très inégale à différents niveaux : commençons par des questions de forme. L'arabe avec lequel le livre est écrit souffre diverses faiblesses, et à la prochaine édition son auteur, docteur ès lettres arabes a tout intérêt à bien relire son texte car il ne s'agit pas que de « coquilles » d'impression ou de « fautes d'inattention ». Cela dit, certaines pages du livre, très bien écrites, sont agréables à lire. Par ailleurs, le lecteur se rend compte sans peine de la précipitation qui a marqué la rédaction, l'édition et la publication de l'ouvrage : vers la fin surtout, on rencontre des constructions inachevées ou bien franchement inconcevables. Certaines références de bas de pages sont illisibles ou incomplètes. La conclusion générale n'occupe pratiquement qu'une page sur les 223 que compte l'ouvrage : ce qui non seulement frustre le lecteur et nuit à l'équilibre de la monographie, mais révèle l'empressement d'en finir chez Mohamed Errahmouni et dénonce la légèreté dérangeante qu'il adopte en dressant les bilans de ses réflexions. Pas toujours bien intentionné En ce qui concerne le contenu de l'approche, il est desservi par un défaut majeur, à savoir le parti- pris politique et idéologique de son auteur. Ce dernier ne cache que très rarement ses contradictions profondes avec la Gauche tunisienne, notamment la libérale et la marxiste. Il affiche avec la même netteté ses positions hostiles à tous les rivaux d'Ennahdha et de la Troïka gouvernante. D'ailleurs, les articles qu'Errahmouni fournit en annexes sont tous publiés sur les colonnes du quotidien Al Fajr, porte-parole du parti de Rached Ghannouchi. C'est donc tout naturel que les jugements, analyses et bilans de l'auteur au sujet des laïques paraissent (à moins de les partager préalablement à la lecture du livre) au moins sujets à caution, sinon franchement suspects. Au final, le lecteur a droit dans « Les laïques en Tunisie » à quelques caricatures partisanes, à des slogans dénigreurs du genre qu'on entend parfois dans les manifestations de rue, à des lieux communs nahdhaouis sur Nida Tounès, voire même à des lectures contradictoires. Sur ce dernier point justement, force est de constater que l'image de la Gauche laïque sort plutôt valorisée de ce livre : sans le vouloir certainement, Mohamed Errahmouni souligne le rôle considérable des Laïques dans l'opposition à Bourguiba et à Ben Ali et dans le déclenchement de la Révolution. En minimisant les sacrifices de cette Gauche (peines d'emprisonnement « légères », grâces présidentielles rapides et généreuses en faveur des gauchistes etc.), Errahmouni tombe un peu dans le ridicule : pour lui, l'opposition au régime en place se mesurerait donc à l'aune des condamnations lourdes, et comparativement aux peines infligées aux leaders islamistes. Il y aurait donc selon lui, une opposition « vénielle » et une autre « capitale », et finalement Hamma Hammami (un des souffre-douleur favoris de Bourguiba et de Ben Ali) ne pèserait pas lourd devant Ali Laârayedh, Hamadi Jebali, et Khamis Mejri ! Pour ne pas trop lyncher l'ouvrage de Mohamed Errahmouni, disons simplement qu'il ouvre une énième porte à une polémique très secondaire, au regard des vrais problèmes de fond que notre pays doit résoudre à court et à long termes. Mais que faire : Errahmouni et ses éditeurs tenaient, semble-t-il, à profiter d'un vent favorable. Le livre sur les laïcs tunisiens est maintenant publié. Il vaut ce qu'il vaut, mais personne (pas même son auteur) ne peut prétendre que ce soit le meilleur écrit sur la question ! Badreddine BEN HENDA * « Les Laïques en Tunisie, le conflit idéologique et politique », de Mohamed Errahmouni, texte en arabe, Editions Namaa –Center, Beyrouth 2013