Lors d'une table ronde sur « la justice dans le projet de la constitution », organisée, hier, des magistrats et des juristes ont déclaré que les dispositions relatives à la justice et au pouvoir judiciaire dans le projet de la constitution, en cours de discussion par l'Assemblée nationale constituante, ne sont pas encourageantes et n'augurent rien de bon, à l'instar de la consécration du mécanisme de nomination au lieu de l'élection dans la composition des conseils juridictionnels, ce qui est propre à encourager la politique des quotas, l'inféodation, le népotisme et la domination du service judiciaire. Le magistrat au tribunal administratif, Ezzeddine Hamdène, a estimé que ces dispositions reflètent le refus de la classe politique qui domine l'Assemblée nationale constituante, de garantir l'indépendance de la justice et du pouvoir judiciaire, signalant que des responsables des partis politiques au pouvoir ont dit franchement être contre « l'Etat des juges » et qu'ils appréhendent l'avènement de l'Etat des juges dans l'éventualité d'une consécration totale de l'indépendance de la justice dans le projet de la constitution. Protection contre les déviations La rencontre a été organisée par l'Union des magistrats administratifs et l'Ecole doctorale de la Faculté de droit de Sfax, avec la participation d'une élite de magistrats et d'enseignants universitaires, spécialistes en droit. Dans un rapport introductif, le directeur de l'Ecole doctorale de la Faculté de droit de Sfax, Néjib Baccouche , a souligné que l'indépendance de la justice exige des dispositions propres à la préserver et à la protéger contre les déviations qui l'ont entachée, notant que l'ambiance ayant marqué le démarrage de la discussion du projet de la constitution à l'Assemblée nationale constituante n'inspire pas confiance et déplorant la division de la famille des magistrats qui ne sert pas l'intérêt de la justice et qu'il importe de dépasser, a-t-il dit. Mr Néjib Baccouche a ajouté qu'à l'exception de la mention affirmant que la justice est un pouvoir indépendant, le projet de la constitution ne contient pas toutes les garanties nécessaires pour la consécration de l'indépendance de la justice comme les garanties relatives aux aspects disciplinaires. Il a estimé que l'Instance supérieure des conseils juridictionnels dont la création est proposée par le projet de la constitution est inutile et qu'il convient de se contenter du conseil supérieur de la magistrature et des trois autres conseils juridictionnels, savoir le conseil de la justice ordinaire, le conseil de la justice administrative et le conseil de la justice financière. D'autant que les prérogatives attribuées à l'Instance signalée dépassent celles du conseil supérieur de la magistrature, concernant la définition des politiques en matière de justice. Il a critiqué ce qu'il a appelé « la détermination des auteurs du projet de la constitution à écarter le principe de l'élection dans la composition des conseils juridictionnels en faveur de la méthode mélangeant l'élection et la nomination directe » , détermination suscitant l'inquiétude et les interrogations, a-t-il dit, surtout à la lumière du refus de consacrer l'indépendance du parquet et du ministère public et son maintien sous la dépendance du ministre de la justice. Dangers de la révocation Le magistrat au tribunal administratif, Ezzrddine Hamdène, a jugé, lui aussi, inutile l'Instance supérieure des conseils juridictionnels, notant que les deux tiers du conseil de la justice administrative ne sont pas élus et sont nommés directement. C'est également le chef du gouvernement qui nomme le président du tribunal administratif et qui décide des révocations. Il a dénoncé la constitutionnalisation du mécanisme de révocation en vertu de l'article 104, notant que la révocation n'existait pas ni du temps de Bourguiba, ni du temps de Ben Ali. Il a déploré également le manque de dispositions rendant obligatoire la mise en application et l'exécution des décisions du tribunal administratif notamment les décisions prononcées à l'encontre de l'administration, alors que le premier brouillon comportait des dispositions dans ce sens. Cour constitutionnelle Au nombre des autres défauts du projet de la constitution concernant l'indépendance de la justice et du pouvoir judiciaire, Mr Mootez Gargouri, enseignant à la Faculté de droit de Sfax, a signalé les dispositions fragiles relatives à la Cour constitutionnelle dont le projet de la constitution propose la création, en remplacement de l'ancien conseil constitutionnel. Il a estimé que la Cour constitutionnelle peut être un contre pouvoir efficace car elle statue sur la constitutionnalité des lois, mais sa composition obéit à la méthode de la nomination et de l'investiture de la part des autres pouvoirs publics. Il a déploré l'absence de moyen permettant de contrôler actuellement la constitutionnalité des lois adoptées par l'Assemblée nationale constituante, ni leur adéquation avec la mission constitutive de cette Assemblée, car beaucoup de lois adoptées par l'Assemblée constituante n'ont as de caractère constitutif comme la loi relative à l'immunisation de la révolution. L'autre défaut a trait aux parties ayant la compétence de soumettre les lois à la Cour constitutionnelle pour statuer sur leur constitutionnalité. Le projet de la constitution limite ces compétences en la personne du président de la république, tandis que Mr Gargouri est en faveur de l'extension de telles compétences aux députés et aux partis politiques de l'opposition, entre autres.