Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
"Tant que les structures régionales ne sont pas décentralisées, les vassaux de l'ancien régime continueront à gérer la culture au profit de leurs nouveaux maîtres" L' invité du dimanche: Ezzeddine Gannoun, metteur en scène et directeur de l'espace «Al H
Entretien conduit par Faouzi KSIBI Il appartient à cette lignée d'artistes de race pure qui ne badine pas avec les principes et qui défend avec intransigeance la qualité de son art et la vocation qui lui est dévolue, à savoir la conscientisation du public. Les différentes tempêtes qui ont soufflé sur le pays et sur la culture, en particulier, que ce soit au temps de la désertification ou bien à l'époque de l'obscurantisme ne l'ont pas plié comme tant d'autres, bien au contraire, à chaque fois qu'il y a menace, il redouble de force tenace pour défendre son fief. La culture dans notre pays ressent un besoin urgent d'artistes de la trempe de notre invité surtout ces jours-ci où elle est envahie par des intrus, soutenus par les autorités, à la prestation médiocre et qui s'affublent d'insignes artistiques pour se donner l'allure de gens de métiers en vue de disséminer l'art, le vrai. En fait, leur volonté n'est que velléité, car ils savent pertinemment bien que les quelques braves et vigilants femmes et hommes de culture ne sont pas les seuls à les affronter, mais que la société civile l'est également, elle les a à l'œil. Leurs jours sont comptés… • Le Temps : comment vous vous êtes -vous préparé pour cette saison estivale ? -M Ghannoun : les choses n'ont pas changé, elles sont comme elles l'étaient à l'époque de Ben Ali, étant donné que la plupart des festivals, pour ne pas généraliser et risquer de condamner quelques uns, continue à négliger, à ignorer et à exclure les meilleurs produits culturels, notamment, théâtraux qui ont donné leurs preuves cette saison. Vous savez que la pièce « Monstranum's » a été donnée une quarantaine de fois ici même à El Hamra et ailleurs, à Kairouan, à Sousse, à Monastir, à Mednine ; elle a connu un grand succès dans ces villes-là. Mais malheureusement et en dépit de cette réussite remarquable, la veille des festivals, nous n'avons que deux programmations dans les deux plus grands de la Tunisie, il est vrai, à savoir les festivals internationaux de Carthage et de Hammamet où la programmation de théâtre devient, heureusement, coutume qu'on espère qu'elle continue. Pour ce qui est du premier, je salue, vraiment, le courage de son directeur pour cette initiative de réhabilitation du théâtre tunisien dans cette enceinte prestigieuse. Il faut savoir que vingt ans en arrière, la scène romaine de Carthage abritait des spectacles du théâtre national que ce soit pour l'ouverture ou la clôture des sessions ou bien dans sa programmation. Et nos reproches, à l'époque, se rapportaient au caractère saisonnier du théâtre et à sa planification uniquement pendant l'été et on réclamait une programmation continue s'étalant sur toute l'année. Et on est arrivés, nous, hommes de théâtre et opérateurs culturels, à atteindre cet objectif en aménageant des lieux de représentation pour pouvoir travailler en hiver et ainsi on a réussi à exister en dehors des saisons festivals, ce qui est un acquis très important pour la culture tunisienne. C'est une tradition qu'on a créée de toutes pièces par notre détermination. •Quels sont les écueils que vous avez rencontrés cette année ? -Excepté les deux festivals que je viens de citer et dont les directeurs sont des hommes de culture qui sont informés sur ce qui se passe dans la programmation annuelle théâtrale en Tunisie, les autres festivals sont abonnés absents. Cette réalité décevante est due au fait que la plupart des directeurs ne sont pas des hommes de culture mais des imprésarios qui organisent leurs manifestations à l'image de tout festival commercial qui cherche le gain facile avec une programmation trop simple conçue sous l'étiquette de « ce que veut le public », ce qui est archi faux, car, quand on lui présente un bon produit, ce public s'y accroche. La preuve c'est que, depuis plusieurs années, ceux qui viennent pour la première fois voir nos spectacles disent qu'ils ne savent pas que ces derniers existent. Peut-être que c'est un problème de communication, mais il y a aussi une question de curiosité qui manque au public tunisien, il n'est pas curieux de découvrir de nouvelles formes ou même d'anciennes qui ont fait leurs preuves depuis une vingtaine ou une trentaine d'années. Donc, la programmation est la même au niveau des festivals régionaux qui font du copier/coller, ils n'ont aucune innovation, aucun risque artistique. Si le directeur d'un festival ne dispose pas d'une marge artistique, culturelle et surtout d'aventure pour découvrir et renforcer les expériences réussies, il est un simple imprésario qui pense à la caisse plutôt qu'à la culture, c'est là où le bât blesse. • Dans cette situation que vous venez de décrire, à qui devrait-on s'en prendre, aux artistes ou bien à l'autorité de tutelle ? -La plupart des directeurs des festivals ou des délégués culturels sont les mêmes qui étaient sous Ben Ali. Donc, ils ont gardés les mêmes réflexes, c'est-à-dire qu'ils continuent à défendre la marginalisation du produit culturel exactement comme ils le faisaient avant. Ce sont des administratifs qui ne font que plaider la cause du régime en place même quand les ordres ne viennent pas d'en haut. Aujourd'hui par exemple, la Troïka se désintéresse, complètement, de la la culture, mais ces sbires-là prennent la défense, par réflexe de soumission, des intérêts de ces partis au pouvoir, ces tartempions ne peuvent pas exister en dehors de ce rôle qu'ils se sont assigné et dans lequel ils se sont cantonnés à jamais. Il n'y a que quelques personnes qui sont des acteurs et des opérateurs culturels et qui prennent le risque pour programmer autre chose que ce qui domine la scène culturelle nationale. Donc, la faute revient, tout d'abord, aux personnes, car le ministère de tutelle n'a que deux ou trois festivals sous sa férule, le reste c'est des festivals régionaux. • Comment se présente la situation à ce niveau ? -Nous réclamons une décentralisation totale de la culture comme dans les autres secteurs d'ailleurs. La région doit prendre en charge le sort de la culture et j'entends par là qu'il n'y a pas que les autorités politiques mais aussi les hommes d'affaires, c'est-à-dire le capital national. Comment ça se fait que celui-ci ne joue pas un rôle déterminant dans l'essor de la culture nationale ? Il est complètement absent. Aujourd'hui, ce capital joue le jeu politique comme avant, il est du côté de ceux qui sont au pouvoir. • Mais est-ce que la conjoncture politique actuelle permet la participation active de tous ces acteurs à cet effort collectif visant la réhabilitation de la vie culturelle? -Les responsables politiques régionaux ne peuvent intervenir positivement et assumer ce rôle qu'on attend d'eux que sauf s'ils sont des hommes de culture et qu'ils ne soient pas des serviteurs attitrés d'un certain pouvoir. C'est-à-dire que quand il n'y a pas d'élections régionales au niveau d'institutions publics tels que les conseils municipaux, les délégations et les gouvernorats, quand il n'y pas de décentralisation et donc de démocratisation de ces structures-là, il est tout à fait normal qu'il y ait à la tête de chaque région un valet du pouvoir. Un agent pareil ne va pas, de toute évidence, défendre une culture contestatrice ou bien un avis autre que celui de ceux qui gouvernent. Donc, on n'est même pas au début du processus démocratique, on en est encore loin, parce qu'on est en pleine centralisation du pouvoir sur tous les plans, économique, politique, culturel, etc. • Alors la crise actuelle de la culture est, principalement, due à l'attitude des politiques à son égard ? -Ces gens qui sont au pouvoir ont peur de la liberté, de la liberté d'expression, de la liberté de création ; ils se cachent, toujours, derrière les règles et les lois pour limiter tout esprit libre, tout esprit créateur et innovateur et surtout tout esprit protestataire qui essaye de dépasser les lignes rouges encerclant l'espace de la création. Alors que les artistes sont faits pour ça, ils ne sont pas là pour appliquer les règles morales, ni économiques, ni culturelles, ni surtout religieuses, leur rôle c'est de casser toutes ces règles-là. L'artiste est là pour proposer autre chose, une autre aire de liberté, d'expression, de création. C'est pourquoi je crois qu'en dehors du fait que le comportement des responsables régionaux et l'absence d'une politique culturelle claire sont les raisons de cette crise que connaît la culture, une part prépondérante de cette responsabilité incombe aux artistes. Depuis le 14 Janvier jusqu'à maintenant, excepté quelques uns qui ont manifesté leurs points de vue et leurs positions d'une manière claire et nette, la plupart d'entre eux sont absents. Je respecte tous les artistes qui ont, clairement et courageusement, défendu Ennahdha. Par contre les autres qui prétendent être de gauche et démocrates se taisent et attendent l'occasion propice pour être, toujours, dans le beau rôle. Quand vous leur posez une question sur la politique, ils vous répondent qu'ils ne parlent pas de politique et qu'ils sont artistes comme si artistes voulait dire être isolé de la réalité tunisienne. Mais l'artiste apolitique n'existe pas, cette position consistant à dire qu'on est politique est politique, elle ne peut servir qu'un état de fait qui existe déjà. Ces artistes-là disent beaucoup de choses dans les coins et recoins de la société, mais ils n'ont pas le courage d'exprimer leurs opinions et de déclarer leurs positions en public. Des fois, même dans leurs produits, ils essayent de ménager la chèvre et le chou. C'est quoi cette attitude d'artistes qui ne s'assument pas et n'assument pas même leurs pensées intérieures? Quelque part, je suis déçu d'une bonne partie de ces artistes qui sont dans une position attentiste, il y a là un fond d'opportunisme. Justement, notre pièce de théâtre « Monstranum's » parle de ces gens-là qui ont changé de couleur et tourné la veste du jour au lendemain, les apathiques du régime de Ben Ali se sont métamorphosés en serviteurs du nouveau pouvoir. Il est vrai que l'intérêt matériel est important, mais les principes de vie, la vocation d'artiste et surtout la liberté le sont encore plus. Le vrai artiste n'est le porte-parole d'aucun parti, il est une voix libre comme l'air. Quand vous avez une quasi totalité d'artistes qui attendent dans quelle direction le vent va souffler, là vous vous dites qu'il y a quelque chose qui ne va pas. • Est-ce qu'un artiste qui a une attitude aussi négative est capable de produire un art constructif. -Absolument pas ! Un artiste pareil est incapable de produire un art avant-gardiste, un art qui ose repousser les frontières et les casser pour découvrir d'autres espaces de liberté et de création. Leur art ne peut que refléter leur état d'esprit et leurs actes, il finira, certainement, dans les oubliettes de l'histoire. Ces artistes ne resteront pas, toute l'histoire humaine n'a pas retenu les noms de ces gens-là sauf par moments, à l'occasion de grandes thèses académiques, pour les citer comme mauvais exemples et montrer, dans esprit analytique, ce qu'il ne faut pas faire. Donc, nous avons besoin d'artistes courageux de tous bords, l'essentiel c'est qu'ils s'assument et qu'ils soient conséquents avec eux-mêmes afin que la production artistique soit à la hauteur et joue un rôle d'avant-garde. • Quels sont les procédés que vous préconisez pour faire sortir la vie culturelle de sa léthargie et la redynamiser ? -Miser sur une nouvelle génération d'opérateurs culturels des ressortissants que ce soit de l'IFAC, ou de l'ISAT, ou de Bordj El Bey. Mais, est-ce que cette génération est armée, outillée et convaincue de la nécessité d'une révolution culturelle dans le pays ? Ou bien nous avons des promotions qui sortent juste pour chercher des emplois culturels ? Nous avons besoin d'opérateurs culturels, d'acteurs culturels qui vont changer l'esprit et la culture en Tunisie et trouver d'autres plans d'action. Ces jeunes doivent bouger et imposer leur nouvelle vision, l'avenir est devant eux. Je trouve, vraiment, anormal que, des fois dans des discussions, il y a des personnes de soixante ans qui sont plus révolutionnaires que des jeunes de vingt-cinq/ trente ans qui suffoquent sous une chape de soumission qui pèse sur leurs épaules. Il est vrai que cette jeunesse est le produit de Ben Ali, mais elle a montré le contraire entre le 17 Décembre et le 14 Janvier, elle était l'artisane de ce coup de tonnerre qui a renversé la tête du régime. Je fais appel, encore une fois, à cette énergie, à ces jeunes pour qu'ils interviennent dans la culture et y occupent un rôle d'avant-garde, pour qu'ils soient porteurs de projets culturels d'autant plus que nous manquons de personnes qui en soient porteuses et que la plupart en sont de simples exécutants. Il faut qu'ils arrivent à se débarrasser de la peur et peut-être de leur timidité pour dire voilà ce que nous voulons, voilà ce qu'il faut. Pendant les trente dernières années, c'est-à-dire depuis l'ère de M'zali, on appliquait une politique de castration parallèlement à celle de marginalisation dans le but de faire taire les protestataires, ceux qui refusaient l'ordre établi. C'était un plan diabolique pour castrer le peuple tunisien et son intelligence qui, heureusement, n'a pas donné le résultat attendu par le régime et que cette jeunesse que celui-ci voulait s'assujettir s'est révoltée contre lui à partir de 2008 au bassin minier de Redeyef. • Vous parliez de révolution culturelle, mais celle-ci pourrait-elle avoir lieu sans révolution économique, sociale et politique ? -Il existe une dialectique entre toutes ces composantes. Qu'on le veuille ou pas, l'économique est, toujours, déterminant en dernière instance, il offre un épanouissement culturel. Mais, l'épanouissement culturel contribue aussi à l'essor de l'économie. Donc, il ne s'agit pas de poser la question stupide qui vient avant la poule ou la poule, le plus important c'est l'action, c'est commencer. En ce sens que parallèlement à un projet économique de redressement dans une région, on peut établir un plan culturel qui soit en parfaite harmonie, ainsi les deux sphères profitent mutuellement. • Un schéma ambitieux pareil a-t-il des chances de voir le jour aujourd'hui ? -Depuis le 23 octobre, ces gens-là ont montré qu'ils ne sont pas là pour redresser la situation économique, sociale, politique, culturelle… de la Tunisie, ils sont là pour autre chose. Et l'exemple égyptien est sous nos yeux pour éclairer nos lanternes, pour nous dire voilà ce qu'il faut faire. On ne peut pas rester les bras croisés devant une situation de crise stagnante où on ne voit même pas les éléments premiers d'un redressement économique et où on n'entend aucun discours convaincant avec un plan d'action de la classe politique qui nous gouverne. Malheureusement, ils sont tous prisonniers de leurs idéologies, ce qu'ils veulent sauver c'est l'image de leurs partis respectifs. Il n'y a pas de consultations culturelles, on s'en fou de la culture, c'est la cinquième roue de secours ou même pas, c'en est la sixième qu'on ne trouve même pas chez le vendeur mais chez le revendeur. Donc, elle ne figure pas dans le plan de redressement. La solution réside dans la décentralisation, les ressortissants de tous les instituts supérieurs des arts constituent en moyenne une vingtaine de forces vives par région. Pourquoi ne pas rassembler ces jeunes avec des mini projets culturels autour de l'infrastructure existante déjà pour qu'ils pensent à un plan de redressement? Et ce n'est pas le ministère de la culture qui va subventionner tout cela, il n'en assume qu'une partie et le reste revient à la région et au capital national comme je l'ai précisé plus haut. Et comme elles participent au redressement économique, les banques doivent aussi verser ne serait-ce qu'1/1000 du coût global du redressement culturel. Cela existe dans les textes de lois, alors, appliquons-les ! Créons des noyaux d'intervention culturelle dans chaque région ! Que ces jeunes se prennent en charge ! Je vous assure qu'avec ces groupes d'artistes, on pourrait créer des postes d'emploi pour les jeunes chômeurs dans le domaine de la culture. Il faut ouvrir des centres de formation culturelles et artistiques pour qu'à la place de pencher ou de virer vers un extrémisme facile, sans gain et même sanguinaire, ces jeunes vont se tourner vers l'expression artistique, la consommation si ce n'est pas l'exercice de l'art, et vous avez d'un coup les prémisses d'une nouvelle société qui va naître. Je vous assure que ce n'est pas un problème uniquement d'argent mais aussi de conviction, en ce sens si on est convaincu du rôle de la culture, on déplacera des montagnes. • Comment avez-vous accueilli l'aboutissement du « Mouvement Rébellion » du 30 juin en Egypte ? -Ce que nous avons vu, nous ici en Tunisie, c'était l'action politique, l'action des jeunes dans la rue qui était salutaire ; je félicite le peuple égyptien pour sa grande détermination et sa bravoure. J'ai, personnellement, reçu plusieurs appels téléphoniques, le jour de la destitution de Morsi, de jeunes ressortissants du centre arabo-africain de formation et de recherche théâtrale qui étaient à la place Ettahrir. Ils m'ont appelé les larmes aux yeux pour que je partage avec eux ces moments forts, ces moments historiques de changement ; la révolution continue chez eux. J'étais plus que touché, j'étais ému, parce que j'écoutais les slogans en direct. Ces jeunes-là n'ont pas manifesté seulement politiquement, il y avait des plateaux d'artistes où l'association les « ressources culturelles », par exemple, a organisé des manifestations culturelles au milieu des manifestants. Il y avait de la peinture, de la poésie, de la chanson, de la danse… Ils ont donné la preuve que le politique et le culturel allaient de pair. Les artistes étaient dans le mouvement mais aussi sur les plateaux artistiques au Caire et ailleurs. Voilà une révolution qui embrasse tout, c'est-à-dire le politique, l'économique, le social, le culturel… • Peut-on dire, selon vous, que les jeunes tunisiens qui ont amorcé un mouvement de rébellion analogue ont les mêmes arguments que leurs homologues égyptiens ? -Il y a des similitudes, entre les deux pays, qui apparaissent à tous les niveaux de la vie et dans les actes et les erreurs des pouvoirs politiques aussi bien en Egypte qu'en Tunisie. Donc, les deux réalités ne sont pas identiques, ce qui veut dire que la démarche pourrait être différente et aboutir à la même chose. Si ce mouvement amorcé en Tunisie arrive à réunir trois millions de signatures et à faire descendre deux millions dans la rue, le jeu sera fait. Pour ce qui est de l'Egypte, une très large partie du peuple était, gravement, touchée aussi bien dans son pouvoir d'achat que dans sa vie culturelle où le pouvoir islamiste, là-bas comme ici d'ailleurs, essaye d'implanter de nouvelles valeurs culturelles dans la société et modifier ainsi le mode de vie des gens, de lancer des débats sur de faux problèmes pour détourner l'attention du peuple de l'essentiel qu'est la situation économique et sociale. Et on peut avancer, à ce propos, l'exemple de la fameuse loi de protection de la révolution en Tunisie. Avec cette loi-là, ils ne font qu'alimenter la colère de la moitié du peuple tunisien qui se dressera contre eux et descendra dans la rue pour leur dire « Dégage ! » et peu importe si cela vient de Nida Tounes ou d'ailleurs, car à moment-là, le problème sera celui du citoyen tunisien qui en a assez des diversions et des ballons par le biais d'un sbire semi ignorant, parce que l'ignorance est un grade supérieur, en ce sens que quand on est ignorant, on aspire à la connaissance, alors que lorsqu'on est semi ignorant, on ne pense même pas à l'ignorance pour pouvoir accéder à la connaissance. Ce semi ignorant vous dit que, cette année, on sera vigilants vis-à-vis de ceux qui ne vont pas jeuner pendant le mois de ramadan. Mais c'est quoi ces ballons d'essai qu'on lance pour voir la réaction de ces derniers et celle des musulmans et des ultra musulmans ? C'est quoi ce jeu mesquin ? Arrêtons ces diversions ! Si ce pouvoir continue dans cette direction-là, on aura à la fin, peut-être d'une autre manière, le même résultat qu'en Egypte, parce que les gens ne peuvent plus accepter ce double langage, ce jeu de très mauvais goût et surtout ce nouveau projet de société qui veut supplanter une modernité qui, en dépit de toutes ses imperfections et ses faiblesse, est bien ancrée dans notre sol national depuis 1861 avec l'apparition de la première constitution. Cette modernité dans notre pays ne date pas d'hier, elle ne date pas de Bourguiba qui n'est, en fait, que le politique qui, vu qu'il tenait les rênes de l'Etat, a su traduire la force d'une intelligentsia tunisienne qui était contre la majorité de la population analphabète. Donc, ce n'est pas aujourd'hui qu'on va revenir à une société obscurantiste.
• Quel est votre jugement sur l'attitude du ministère de la Culture à l'égard du bureau directeur démissionnaire du festival de Boukornine ? -Malheureusement, il y a des forces occultes et des forces réactionnaires qui n'ont pas voulu que ce festival continue à exister avec sa nouvelle politique, sa nouvelle programmation et son équipe de direction qui est différente de la quasi-totalité des festivals. En second lieu, le meilleur moyen pour saboter un projet, et en dehors de la pression psychologique, sociale et politique, il y a ce qu'on appelle la censure économique. Imaginez que le 20 juin, c'est-à-dire à moins de trois semaines de l'ouverture, il ne se trouvait que 196 dinars sur le compte bancaire de ce festival, alors qu'il y avait une bonne quinzaine de contrats en instance avec des artistes étrangers et tunisiens. C'était pousser le premier responsable de ce festival à signer ces contrats pour qu'après il se trouve en tôle pour ne pas avoir payé ces derniers. Il était clair que le coup était bien monté pour casser aussi bien ce festival et sa programmation que l'équipe qui le dirigeait. En plus de tout cela, et c'est la cerise sur le gâteau, les responsables inventent, avec des moyens colossaux, un festival gratis baptisé festival de la médina avec une entrée libre pour tout le monde dans trois lieux différents avec une programmation bien fournie qui répond, en tout cas, aux aspirations de ces organisateurs en vue, bien entendu, de saboter le festival de Boukornine, parce qu'ils savent très bien que, conformément, à sa politique, il ne peut pas miser sur la gratuité pour faire une culture populaire. Je reste persuadé que la participation du public ne serait-ce que par l'achat d'un ticket d'une représentation avec un prix symbolique est très importante, étant donné que c'est un acte citoyen.