Expert auprès des institutions et des organisations internationales œuvrant dans les domaines de la lutte contre la pauvreté et de la micro finance, docteur Anas Hasnaoui, présent lors des travaux du 2ème forum international sur la finance islamique à Sfax, a été l'auteur d'une brillante communication qui a mis en valeur la contribution des institutions du waqf et de la zakat au développement, à la lutte contre la pauvreté et à la promotion du travail des jeunes. Dans la présente interview, il sera question de la revalorisation du rôle du waqf en tant que mécanisme efficace en matière de création de richesse, de réduction de la pauvreté et de réalisation de la justice sociale. Le Temps : d'abord, une définition du Waqf ? Docteur Anas Hasnaoui : le waqf se définit sur la base de trois éléments : il ya d'abord le capital qui est un bien qu'on investit dans une opération économique ayant des bénéficies qui sont orientés vers une cause donnée, que ce soit l'éducation, la santé, les orphelinats etc…Lorsqu'on parle du waqf dans nos pays, on a tendance à penser que c'est uniquement pour les mosquées : on construit un certain nombre d'immeubles et on en utilise les loyers pour couvrir les frais d'entretien de la mosquée, le salaire de l'imam etc… En réalité, cela n'est qu'un aspect du waqf. Deuxième élément, c'est l'opération d'investissement qu'on fait et le troisième élément, ce sont les bénéficiaires des revenus de cette opération économique. D'où vient le capital ? Le capital provient des « mouqifouns », c'est-à-dire ceux qui acceptent de bloquer une partie de leur argent pour cette cause-là. C'est ce qu'on appelle en arabe « Assadaqa AlJarya » qui signifie que quelqu'un lègue une partie de son bien - immobilier, foncier, actions en bourse- pour l'investir dans une opération qui va générer des bénéfices lesquels vont être orientés vers une cause. Quelle pourrait être la durée du waqf ? Cela dépend de la forme du waqf qui peur être limité ou bien illimité dans le temps. A titre d'exemple, le legs : dans leurs testaments, les musulmans avaient l'habitude de léguer les deux tiers de leur héritage à leurs héritiers et le tiers restant à une cause donnée, par exemple, à une société dont les bénéfices seront servis à une institution qui s'occupe des orphelins, à la prise en charge des enfants de la rue etc… Au Maroc, il y a des waqfs au profit des étudiants, de la santé et même des animaux, comme par exemple au profit des cigognes, au profit des femmes de ménage pour rembourser les employeurs au cas où l'une de ces femmes venait à détériorer par inadvertance certains objets se trouvant dans le domicile où elle travaille. Il y a aussi un waqf appelé « Anis El Ghorba » qui paie des sortes d'aèdes qui tiennent compagnie aux « étrangers », question d'alléger le poids du dépaysement pour eux. Au Maroc, aussi, le premier hôpital psychiatrique dans le monde a été créé par le waqf à Fès. Y a-t-il des waqfs dans les pays occidentaux ? Oui, en effet. A titre d'exemple, aux Etats Unis, toutes les universités, tout en bénéficiant d'un budget fourni par l'Etat, ont leurs propres waqfs fournis par des fondations. Comment le waqf est-il géré ? De la même façon que n'importe quel fonds d'investissement avec la différence majeure que les bénéfices vont à une cause sociale au lieu de revenir aux actionnaires ou aux investisseurs. Bien sûr, la gestion dépend des législations en vigueur dans un pays donné. Par exemple, aux Etats Unis, ce sont les fondations privées : la fondation Bill Gate est bel et bien une fondation waqf. Bill Gate, a bloqué une partie de son argent dont les bénéfices vont aux institutions caritatives. Aux Etats Unis, la législation en la matière lui donne le droit de gérer sa propre fondation. En Tunisie, le waqf est interdit. Dans d'autres pays, la gestion du waqf est du ressort d'un ministère quelconque. Dans les pays occidentaux la gestion de l'institution du waqf est définie par des lois. C'est absolument indispensable pour donner au waqf le rôle qui lui est dû , dans le développement. Comme l'a souligné docteur Jarraya, il faudrait développer l'aspect juridique pour permettre un bon fonctionnement des fondations civiles, privées étatiques etc… Et il n'y a aucun mal à s'inspirer de l'expérience occidentale dans le domaine avec toutefois une différence entre les deux législations islamique et occidentale, concernant les types d'investissement à instituer, dans la mesure où nos investissements doivent être conformes à la Chariaâ. Y a-t-il jusqu'à présent des études pour moderniser le waqf dans les pays musulmans ? En effet, des études ont été menées par l'IRTI, Institut Islamique de Recherche et d'Entraînement auprès de la Banque Islamique. L'institut a même proposé un modèle de loi applicable dans tous les pays musulmans. Quelles recommandations pour réhabiliter le waqf et en asseoir le fonctionnement sur des bases solides Il est évident que le développement de nos lois est une condition sine qua non pour développer le waqf. Le paradoxe, soulevé récemment d'ailleurs par un professeur américain est que cette institution islamique abandonnée par les pays musulmans a été adoptée par les Occidentaux qui en ont perfectionné les techniques. Le même professeur a donné l'exemple de l'Egypte où le tiers des terres appartenaient aux institutions du waqf lors de la colonisation de ce pays par la France. Mais, étant donné que ces terres étaient protégées par des lois, Napoléon Bonaparte n'a pas pu y toucher et elles ont gardé leur statut après son départ. Malheureusement le sultan qui a gouverné le pays par la suite a confisqué ces terres pour les inclure dans les biens de l'Etat, avant de les distribuer indûment à ses proches et fidèles serviteurs, ce qui a créé des disparités flagrantes entre les grosses fortunes et le reste de la population. En Tunisie, le waqf a été aboli, alors qu'aux Etats Unis, les lois se succèdent pour mieux le développer, en perfectionner les techniques et le fonctionnement pour en accroître l'efficacité . Ainsi, chez nous, soit on se hâte de le supprimer soit on en adjoint les biens à ceux de l'Etat ce qui entraîne forcément un manque de confiance auprès des citoyens. Or, le bon sens dicte d'en corriger les pratiques douteuses ou incorrectes, au lieu d'en procéder hâtivement à la suppression pure et simple. La meilleure solution est de mettre à profit la jurisprudence pour une meilleure efficience des banques islamiques, des fonds d'investissement, ainsi que de la zakat et du waqf, institutions dont nous avons grandement besoin pour assurer notre développement et nous mettre au niveau des pays occidentaux. Entretien conduit par Taieb LAJILI