• 11514 bénéficiaires de l'amnistie souffrent d'abandon Les forces de l'ordre ont dispersé sans ménagement le sit-in d'«Assoumoud» (la Résistance) qui se tient depuis le 17 janvier 2013 à la Kasbah, tout près du Palais du gouvernement. Les protestataires, qui réclament l'application du décret-loi relatif à l'amnistie générale prévoyant notamment des réparations morales et matérielles au profit des prisonniers politiques ayant croupi dans les geôles de Ben Ali durant de longues années, ont été surpris par l'irruption des forces de l'ordre sur les lieux vers le coup de midi. Munis d'une décision de levée du sit-in, les policiers ont très vite commencé à arracher les drapeaux et les portraits des martyrs du mouvement islamiste avant d'inviter tous les sit-inneurs à déguerpir. Un certain nombre de protestataires a quitté les lieux alors que d'autres ont refusé de se plier aux injonctions des policiers, arguant de leur droit d'observer un sit-in pacifique pour défendre leurs revendications légitimes. Les forces de l'ordre ont dû faire usage de la force pour évacuer la Place du gouvernement. Des sit-inneurs récalcitrants, Béchir Khalfi et Imed Chikhaoui, ont été ainsi arrêtés avant d'être libérés quelques heures plus tard. La levée du sit-in des prisonniers politiques par la force publique a provoqué consternation et vives critiques envers le gouvernement qui n'a pas satisfait aux revendications légitimes des sit-inneurs, et n'a pas traité de nombreuses situations déplorables d'anciens prisonniers politiques. «La levée du sit-in s'est faite dans des conditions très respectueuses de la loi et des règles de la bienséance. C'est pourquoi une partie des manifestants s'est dirigée vers le siège d'Ennahdha pour remercier les gouvernants pour cette sollicitude inégalée», précise ironiquement le militant des droits de l'Homme Zouheïr Makhlouf. Une partie des protestataires s'est, en effet, dirigée suite à la dispersion du sit-in aux locaux du mouvement Ennahdha à Montplaisir pour protester contre l'injustice qu'elle venait de subir. «Nous avons été même privés du droit de nous exprimer librement et de manifester pacifiquement. C'est comme si une partie de la classe politique actuelle voulait tourner à tout prix cette page sombre de l'histoire de la Tunisie », s'écrie un sit-inneur. « Deux ans et demi après sa promulgation, le décret de l'amnistie générale n'est toujours pas mis en application. Nous ne faisons que réclamer et revendiquer notre droit légitime à une vie digne après des décennies de souffrance. Malheureusement, ce droit est pris au piège des tiraillements politiques et des calculs partisans étriqués », soupire un autre. Ennahdha solidaire avec les prisonniers politiques Ils sont quelque 6300 citoyens parmi les 11514 bénéficiaires de l'amnistie générale à demander des réparations ou des aides urgentes au regard de la détérioration de leurs conditions de vie en raison des longues années de prison et des tortures avilissantes. D'autres ne demandent que des réparations morales ou le jugement de leurs bourreaux. Dans un communiqué publié hier, le parti islamiste au pouvoir Ennahdha s'est déclaré solidaire avec les manifestants délogés de la Kasabah. « Le mouvement réaffirme son soutien à toutes les victimes de l'ancien régime et reconnaît leurs droits à des réparations et au jugement des personnes impliquées dans la torture. Il appelle également le gouvernement à répondre aux revendications des légitimes des prisonniers politiques », souligne le parti dans son communiqué. De son côté, le président du Conseil de la Choura d'Ennahdha, Fethi Ayadi, président du Majless al-Choura, a déclaré que "le sit-in de la résistance était un moyen pacifique pour défendre des revendications légitimes, ignorées par l'élite politique après la Révolution». M. Ayadi précise également qu'il aurait « préféré que le sit-in fût clôturé par un hommage aux militants au lieu d'un traitement sécuritaire précipité et condamnable». Le 19 juin dernier, le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, avait rendu visite aux sit-inneurs pour leur exprimer sa préoccupation et leur a promis de demander au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour activer le décret-loi de l'amnistie générale et mettre fin à la souffrance des milliers de Tunisiens, victimes de l'ancien régime et qui attendent réparation. A noter que tous les pays ayant connu des révolutions ou des brusques bouleversements politiques ont accordé des réparations aux victimes de torture et des mauvais traitements. En Afrique du Sud, plus de 500 millions de dollars avaient été consacrés à l'indemnisation des victimes de l'apartheid par une Commission vérité et réconciliation. Au Maroc, l'instance équité et réconciliation a également octroyé des indemnisations à des milliers de personnes, estimant que les victimes de la torture, de la disparition forcée et de la détention arbitraire gardent des séquelles indélébiles, dans leur corps et dans leur âme, plusieurs années après leur libération.