La Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue sous l'appellation de la Commission de Venise, a estimé dans un rapport publié hier que le projet de la Constitution tunisienne est globalement basé sur les principes universels de démocratie et de Droits de l'Homme. Cet organe consultatif du Conseil de l'Europe sur les matières constitutionnelles dont le rôle est de fournir des conseils juridiques à ses Etats membres note , toutefois, que le texte fruit de plus de dix-huit mois de débats comporte encore des ambiguïtés et recommande des retouches en ce qui concerne l'équilibre des pouvoirs, la limitation des libertés, le pouvoir judiciaire et les droits fondamentaux . La Commission de Venise qui comprend 59 Etats membres (les 47 membres du Conseil de l'Europe plus 12 pays associés, dont la Tunisie) avait été invitée, le 3 juin 2013, par le Président de l'Assemblée Nationale Constituante, Mustapha Ben Jaâfer, à donner un avis sur le projet final de la Constitution tunisienne. Les onze rapporteurs de la Commission saluent la création, pour la première fois dans l'histoire tunisienne, d'une Cour constitutionnelle indépendante. Ils saluent le fait que le projet de Constitution se base «sur les principes universels de démocratie et de droits de l'Homme», et se réjouissent des garanties stipulées en matière de droit à un procès équitable et de liberté individuelle. Les experts du Conseil de l'Europe recommandent, toutefois, de lever les « ambiguïtés » qui caractérisent les rapports entre l'Etat et la religion. « Le simple fait qu'un Etat proclame qu'il existe une religion dominante n'est pas, en soi, contraire aux standards internationaux. Mais le fait qu'une religion est reconnue en tant que religion d'Etat ou qu'elle est établie en tant que religion officielle ou traditionnelle, ou que ses adeptes représentent la majorité de la population, ne doit porter en rien atteinte à la jouissance de l'un quelconque des droits garantis par le Pacte, notamment les article 18 et 27, ni entraîner une discrimination quelconque contre les adeptes d'autres religions ou les non-croyants. Or, dans le projet de Constitution sous examen il existe des tensions entre d'une part, la place prédominante faite à l'Islam, et d'autre part, le caractère civil de l'Etat et les principes de pluralité, neutralité et non-discrimination », notent-ils. L'article 1 déclare que l'Islam est la religion de la Tunisie, et l'article 141 interdit de modifier «l'Islam en tant que religion d'Etat» alors que l'article 2 définit la Tunisie comme «un Etat à caractère civil basé sur la citoyenneté » et les deux principes sont immuables (article 141). L'article 6 proclame que «l'Etat est le garant de la religion» mais garantit «la liberté de conscience et de croyance et le libre exercice du culte». L'article 6 affirme que l'Etat est «le protecteur du sacré» mais garantit la neutralité des mosquées et lieux de culte par rapport à toute instrumentalisation partisane. « Comment la garantie de la religion et de la neutralité des mosquées s'accorde avec la liberté de religion en général? », s'interrogent les auteurs du rapport de la Commission de Venise. Formulation ambiguë Le rapport précise, d'autre part, que la formule «l'Etat gardien de la religion» est ambiguë. «S'agit-il de la religion prise dans un sens conceptuel : gardien de la religion en général ? Cette première phrase de l'article 6 peut être source d'ambiguïté; il est nécessaire soit de la supprimer, soit de la modifier en précisant que l'Etat est le garant de toutes les religions ainsi que des convictions non religieuses», ajoute-t-il. Chapitre égalité et non discrimination, la commission de Venise indique que le texte de l'article 20 limite le principe d'égalité et la non -discrimination aux «citoyens et citoyennes ». Contrairement à l'article 20, l'article 105 du projet de Constitution garantit le droit à un procès équitable à «toute personne». Cette différence suggère que le principe de non-discrimination ne s'applique pas aux personnes se trouvant sur le territoire de la Tunisie mais qui ne sont pas des citoyens tunisiens. Cette limitation du principe d'égalité et non-discrimination n'est pas conforme aux standards internationaux La commission fait remarquer que « ni le préambule, ni les principes généraux ne font référence aux coutumes internationales, aux principes généraux de droit, et aux grands textes internationaux de protection des droits de l'Homme». Elle suggère d'ajouter dans le Préambule une mention confirmant l'adhésion de la Tunisie aux idéaux proclamés par les conventions internationales de l'ONU de protection des droits de l'Homme, notamment. En ce qui concerne les restrictions des droits et des libertés, les experts du Conseil de l'Europe précisent que la clause générale de limitation stipulée à l'article 48 doit être coordonnée avec les clauses spécifiques relatives à chaque droit et liberté. «La solution actuellement contenue dans le projet de Constitution est insatisfaisante, car la prévision d'une clause spécifique seulement pour certains droits ne s'explique pas et prête à confusion », soulignent-ils. S'agissant du régime politique, rien n'indique dans quel ordre les élections présidentielles et les élections législatives se dérouleront, si toutefois elles ne sont pas organisées en même temps. « Si l'élection présidentielle précède l'élection législative, il n'est pas exclu que se développe un phénomène de «présidentialisation» et de bipolarisation à la française. Les élections législatives auraient pour objectif de donner une majorité parlementaire au président. Tout dépend du contexte politique et des personnalités lors des premières élections », signalent les auteurs du rapport. Pour ce qui est du pouvoir judicaire, la commission de Venise s'inquiète du fait que le nombre de personnes nommées au sein du Conseil supérieur de la magistrature Soit très largement supérieur au nombre de magistrats élus puisque les non élus représenteront les trois quart du Conseil, ce qui pose problème au regard de l'indépendance de ce Conseil.