Les résultats des élections législatives du 7 septembre au Maroc ont surpris ceux qui s'attendaient à une refonte du paysage politique dans le royaume alaouite, voire à une révolution de palais. Ceux qui connaissent mieux ce pays y ont vu, au contraire, la confirmation de sa capacité à progresser sur la voie démocratique, mais à son rythme et sans bouleverser ses équilibres immémoriaux. Pour nous autres Tunisiens, qui avons beaucoup d'affinités avec les Marocains, notamment une identité arabo-musulmane et maghrébo-méditerranéenne partagée, ces résultats apportent des leçons que nous aurons tort de négliger. Un: on nous avait annoncé une victoire historique du Parti de la justice et du développement (PJD). Or, il n'en fut rien. Les islamistes modérés sont arrivés en seconde position, ne remportant «que» 46 sièges dans la nouvelle chambre des représentants (sur les 325 mis en jeu). Longtemps agitée comme un épouvantail, la menace d'une déferlante islamiste est donc, pour le moins, exagérée. Deux: les leaders du PJD pensaient pouvoir réitérer au Maroc les succès de l'AKP en Turquie, le parti islamiste actuellement au pouvoir à Ankara. Ils ont commis une double erreur en présumant de leur capacité de mobilisation populaire et en feignant d'oublier les différences d'évolution (et de situation) entre leur pays, où la monarchie se réclame autant qu'eux d'une légitimité islamique, et la Turquie kémaliste, fondamentalement laïque. Trois: en arrivant en première position, avec 52 sièges, le parti Istiqlal (Indépendance) a démontré que les vieux partis nationalistes ne tombent jamais totalement dans l'oubli et qu'ils sont toujours capables de se régénérer et de rebondir. Le Front de libération nationale (FLN) algérien et certains partis communistes de l'ex-bloc soviétique en ont déjà apporté la preuve. Quatre: longtemps confiné dans l'opposition, l'Union socialiste des forces populaires (USFP) n'a pas su, une fois au pouvoir, réaliser les promesses faites à ses électeurs. La sanction n'a pas tardé. Son semi-échec - puisqu'il n'a plus désormais que 38 sièges, contre 50 dans l'assemblée sortante - traduit aussi la difficulté qu'éprouvent aujourd'hui les partis de gauche, particulièrement dans le monde arabo-musulman, à être au diapason des attentes et des aspirations de leurs peuples. Cinq: le taux de participation historiquement bas (37 %) mérite que l'on s'y attarde. Comparable à ceux enregistrés en Egypte, en novembre-décembre 2005 (23%) et en Algérie, en mai 2007 (35%), ce taux très bas - désespérément bas - réduit la portée démocratique de la consultation électorale. Il démontre aussi, s'il est encore besoin, la désaffection de la population par rapport à la politique en général et aux élites partisanes en particulier. Il démontre également le peu de crédit que les électeurs maghrébins accordent aux élections, quand bien même elles seraient pluralistes et transparentes, comme celles de vendredi. Et pour cause : les urnes apportent rarement des réponses aux questions qu'ils se posent et, plus rarement encore, des changements dans leur vie de tous les jours.