Le rideau est finalement descendu sur le 25e Festival Visa pour l'image de Perpignan. Un des grands moments de cette édition 2013 qui a duré du 30 août jusqu'au 15 septembre, a sans doute été la rétrospective consacrée aux clichés du grand photographe de guerre l'Anglais Don McCullin, 77 ans. Presque trois semaines durant, les professionnels puis le grand public ont pu apprécier, dans la vaste Eglise des Dominicains, au cœur de la ville catalane, une œuvre photographique exceptionnelle qui enjambe cinquante ans de carrière de l'artiste. Des images de guerre sans concession ni voyeurisme, toujours en noir et blanc. Des photos qui ont marqué les consciences des générations d'hommes et de femmes par l'éloquence de leur composition et par leur capacité à jeter un éclairage cru sur le côté sombre du vécu humain. Il y a du Shakespeare dans la noirceur des images de Don McCullin, comme en témoigne la magnifique photo du sans-abri irlandais qui a servi de mascotte à Visa 2013. Un roi Lear, majestueux et sombre, à la fois antique et contemporain, posant son regard empli d'une infinie tristesse sur notre monde dérivant inéluctablement vers sa fin. « Risque et péril » Véritable légende pour les jeunes générations de photoreporters, l'Anglais a raconté dans son autobiographie, Unreasonable behaviour, publiée en France sous le titre Risque et péril, son entrée, quasiment par effraction, dans le club fermé des photojournalistes à la fin des années 1950. Né dans un quartier pauvre de Londres, passant de petit boulot en petit boulot, il a fait sa première photo de presse un peu par hasard avec un appareil acheté à Aden, au Yémen, pendant son service militaire. Son sujet, les mauvais garçons de son quartier qu'il fréquentait alors pendant ses longues heures de désoeuvrement. Le jeune homme ne connaissait pas grand chose à la photographie. Quelle ne fut sa surprise lorsqu'une de ses photos mettant en scène ses copains gangsters fut publiée dans l'édition du dimanche de The Observer, un magazine populaire. Surpris aussi de toucher d'un seul coup 50 livres, plus que ses petits boulots ne lui avaient jamais rapporté ! C'est en tant que salarié du prestigieux Sunday Times pendant dix-huit ans (jusqu'à son rachat par Rupert Murdoch en 1984), puis en tant que free-lance que McCullin a photographié les famines (Inde, Bangladesh), les misères sociales (les quartiers Nord de Londres) mais surtout les guerres et les conflits qui ont ensanglanté la deuxième moitié du 20è siècle. En tant que correspondant de guerre, il a couvert Chypre (1964), le Congo (1966), la Guerre des Six-Jours (1967), le Biafra (1968), le Bangladesh (1971), l'Irlande du Nord (1971) sans oublier le Vietnam et le Cambodge où il s'est rendu à plusieurs reprises entre 1964 et 1975. Ses clichés de la Guerre du Vietnam, des marines suréquipés comme des soldats en haillons d'en face, ont fait le tour du monde et ont permis au peuple américain de prendre conscience des atrocités d'une guerre menée en leur nom à l'autre bout de la planète. Témoigner de l'horreur La légende veut que les Américains aient perdu la guerre à cause des photos du front envoyées par des photographes comme McCullin, souvent au péril de leur vie. Prenant la parole pendant le festival sur le sujet (« photographier la guerre »), l'artiste a expliqué que la photographie n'a pas le pouvoir d'arrêter les guerres et que si les Américains ont perdu la Guerre du Vietnam, c'est peut-être tout simplement parce que les Vietnamiens étaient de meilleurs soldats. La supériorité du guerrier vietnamien n'a pas échappé au photographe de guerre. Don McCullin reconnaît avoir une seule fois « arrangé son sujet ». C'était lorsque sa route a croisé celle d'un cadavre de soldat vietcong malmené par ses adversaires yankee. « J'ai ramassé ses affaires, placé de manière visible le portefeuille ouvert d'où sortait la photo de sa femme et de ses enfants. Je voulais rappeler au monde que ce soldat en haillons qui avait vaincu la première puissance du monde avec le fusil pour seule arme était digne de notre respect. » Témoigner de l'horreur et de l'abjection de la guerre, sans pour autant se bercer d'illusions sur les répercussions que ses photos pourraient avoir sur les esprits. On peut résumer ainsi toute la philosophie de McCullin qui, lui, a toujours su que la violence de la photo peut secouer les spectateurs, mais ne change pas le monde fondamentalement. « Au final, j'ai le sentiment d'avoir échoué, car chaque fois, de nouvelles guerres éclatent », a-t-il expliqué à un journaliste.
Biafra, le tournant A l'Eglise des Dominicains de Perpignan où l'exposition McCullin était organisée chronologiquement, deux immenses photos se faisaient face. A la photo du sans-abri irlandais répondait en écho, sur le mur d'en face, le blow-up d'une jeune mère biafraise, prématurément vieillie par la faim, aux seins flétris et pendants. Resté accroché à la mère, son bébé suce son sein gauche de toute sa force, dans l'espoir d'y puiser les dernières gouttes de lait qui le sauveront du néant. Cette photo terrifiante avait en son temps suscité l'indignation de la communauté internationale et attiré l'attention du monde sur la guerre du Biafra et ses millions de morts. Aux dires même de McCullin, le Biafra fut un tournant dans sa carrière. L'Anglais a souvent raconté combien les petits enfants décharnés, mourant par milliers de faim et de soif dans les camps de la mort du Nigeria, l'avaient bouleversé et lui avaient permis de relativiser son travail de photographe se nourrissant de la misère du monde. « Ce reportage m'a dégrisé », a-t-il expliqué pendant la rencontre de Visa avec les reporters de guerre. Il l'a même marqué à vie. Aujourd'hui encore, quand la nuit tombe sur le Somerset, au cœur de la province anglaise où l'ancien reporter de guerre s'est retiré, les yeux d'un petit albinos nigérian croisé dans un camp de Médecins sans frontières il y a quarante-cinq ans, cramponné à sa boîte de conserves totalement vide, viennent le hanter. « Il savait qu'il m'avait eu ! »