En décernant, cette année, le Nobel de Littérature à une auteure de nouvelles, et exclusivement de nouvelles, l'Académie suédoise déroge nettement à la règle qui a jusqu'ici voulu que soient récompensés par ce prestigieux prix des romanciers ou des poètes ! Certes, la plupart des grands écrivains se sont essayés à la nouvelle et aux récits brefs d'une manière générale. Certains s'y sont même brillamment illustrés à l'instar de Prosper Mérimée, Guy de Maupassant, ou Marcel Aymé. Mais le Nobel de 2013 consacre une dame de lettres, la Canadienne Alice Munro qui ne publie que des recueils de nouvelles. Dans d'autres temps, on aurait crié au scandale, la nouvelle étant perçue comme un sous-genre du roman et au mieux comme un genre mineur. En réalité, réussir dans le genre narratif bref n'est pas donné au premier venu. Nombreux sont les contemporains de Gustave Flaubert et les lecteurs modernes de son œuvre qui estiment que ses textes les mieux écrits sont ses Trois contes achevés peu de mois avant sa mort. Bien des nouvelles de Maupassant et de Marcel Aymé comptent parmi les joyaux de la littérature française et universelle. Les contes des Frères Grimm, ceux de Charles Perrault ou encore ceux de Hans Christian Andersen font encore l'objet des études les plus sérieuses et émerveillent des milliards de lecteurs aux quatre coins du monde. Vercors doit sa renommée à une nouvelle, une seule, Le Silence de la mer. Quant à ses romans, personne n'en parle ou presque. L'art de suggérer Il fallait donc rendre (quoique tardivement) cet hommage au genre bref et, en l'occurrence, à la nouvelle littéraire, c'est-à-dire à ce type de récits qui se distingue essentiellement par sa capacité de suggérer le plus d'univers en en créant le moins possible. Une nouvelle c'est au premier abord quelques pages, un ou deux faits centraux, une poignée de personnages apparemment sans histoires, des espaces réduits et un temps des plus resserrés. En profondeur, cela grouille de vie et d'interrogations, c'est un monde foisonnant d'hypothèses et de possibles, c'est une temporalité étrangement riche et inépuisable, une intarissable source de connaissance sur l'homme et son environnement. Une nouvelle réussie se lit vite comme toutes ses semblables, mais son effet est de loin plus durable qu'un récit anodin. D'où le besoin impérieux de la relire, de la redécouvrir et pourquoi pas de la réécrire. L'écriture des récits brefs mobilise des talents différents de son auteur : celui-ci doit maîtriser en tout l'art de la litote. Il accumule les flashes, les clins d'œil, les signaux brefs, l'allusion, l'évocation furtive, le trait hâtif, tous extensibles, tous amplifiables à souhait. On peut ne pas apprécier le caractère édifiant de beaucoup de récits brefs, mais les nouvelles à portée didactique ou éducative ne constituent qu'une proportion très réduite dans les productions du genre bref, car la « leçon » ou les « leçons » à en tirer sont le plus souvent laissées au gré et à l'intelligence, voire à la complicité et à la collaboration du lecteur ; ce dernier étant plus sollicité que le lecteur de roman dans le déchiffrement des maigres indices laissés par l'auteur du genre bref! Ce n'est que justice ! Le Nobel de Littérature 2013 lève enfin une injustice commise à l'encontre du récit court, et de la nouvelle en particulier. C'est un peu comme les prix sportifs qui récompensent rarement, les gardiens de but et les joueurs de la défense ! En littérature, bien des romans fleuves valent beaucoup moins qu'une goutte dans l'océan des nouvelles. Ce n'est pas pour dire que les romanciers n'ont pas de mérite. On commettrait une autre injustice si l'on défendait pareilles aberrations. Il faudrait seulement reconnaître que, comme dans beaucoup de domaines de la vie, ce n'est pas toujours la quantité qui fait basculer la balance ! Toujours est-il que les nouvelles et les contes ne « pèsent » vraiment que rassemblés dans des … recueils !!!