Rencontré à Tabarka lors du week-end littéraire « Un auteur, un éditeur » organisé il y a peu de temps à la cité du corail, le poète, romancier, nouvelliste orateur et conteur, François-G. Bussac n'a pas hésité un moment à répondre à nos questions. Entretien : Le Temps : quels étaient vos débuts dans le domaine de l'écriture ? -François-G. Bussac est mon pseudonyme d'auteur. C'est un nom de famille, plus aisé à utiliser pour moi lorsque j'ai commencé à publier, il y aura bientôt 20 ans, alors que je travaillais au sein du Ministère français des Affaires Etrangères. Mon dernier poste à l'étranger aura été en Tunisie, comme directeur des Médiathèques françaises (Tunis, Sousse et Sfax), de 2004 à 2008, à la suite de quoi j'ai pris ma retraite, active, à La Goulette. Je participe en particulier et régulièrement aux activités de la dynamique Librairie Art Libris, à Carthage Salambo. J'ai commencé par tenir mon journal, puis à pondre des poèmes, et enfin à devenir nouvelliste. J'ai publié quatre recueils de nouvelles, dont deux en Tunisie. J'aime cette forme ramassée, exigeante. Mais je me suis lancé également dans le roman, les chroniques et les écrits pour la jeunesse. Je dispose ainsi d'un instrument, souple, chatoyant, mon écriture, que j'adapte selon les moments, les envies, les nécessités. Mais j'ai encore bien des progrès à faire ! *Ali Bécheur, le préfacier de votre Jardinier de Metlaoui (L'Harmattan, 2009) qualifie votre roman de « beau film ». Pourquoi ? -J'ai été très honoré qu'un écrivain tel qu'Ali Bécheur accepte de préfacer ce premier roman. Il s'agit d'une saga familiale, mêlant l'intime à la politique, les sentiments aux couleurs et aux odeurs du sud tunisien des années 1910-1920. Des personnages forts, dont le héros Henri, ses trois filles, sa femme, et surtout La Mine, ses ouvriers, ses dangers, ses injustices. Oui, il y aurait de quoi en tirer un film. L'action, les dialogues, les rebondissements sont là ! A bon entendeur ! *L'écriture est-elle pour vous une forme de liberté ? -Qui aurait pensé certes et bien d'autres choses encore. Elle me permet de communiquer, d'engendrer des dialogues, des émotions, voire, comme dans le cas des Chroniques, des discussions. Par elle je me découvre, je cerne mieux les autres, aussi. Mais je sais, comme le disait Marcel Proust, l'importance de « la transparence du texte ». Un texte fort se lit au moins deux fois, la première est une découverte, une connivence, puis nous partons à la recherche du filigrane. C'est une succulente liberté, dont la force et la noblesse remontent aux confins de l'humanité. Une société qui ne donnerait pas une place à ses écrivains se fuirait à elle-même, refuserait ces miroirs de liberté que sont les écrits de ses auteurs. La puissance de l'écrit est remarquable et redoutable. Que les poèmes d'un jeune homme de Tozeur, au tournant des années vingt, sensible et amoureux, traverseraient ainsi les années et inspireraient un hymne national et donneraient courage à un peuple en marche ? *Si vous n'étiez pas installé en Tunisie, vous n'auriez pu écrire Le Jardinier de Metlaoui, ou Tunis, Cap TGM, etc. Y a-t'il un secret à cela ? -Je ne sais au juste. Le Jardinier est inspiré de la vie de mon grand-père, Henri Wiesser, intendant des Mines de phosphate, à Metlaoui, de 1895 à 1926, et dont j'ai hérité les 33 volumes de mémoires. Je pense que j'aurai de toutes manières rendu hommage à ce grand-père que je n'avais jamais rencontré, mais qui a eu à cœur de nous laisser ces souvenirs. Cela m'a fait beaucoup de bien. Mais le frémissement qui traverse le livre n'aurait pas été le même, certainement. Pour Tunis, cap TGM, impossible de les concevoir sans mes balades sur la rive Nord ! », ni mes échanges avec les photographies de Marianne Catzaras. Un secret ? Je ne vais pas tout vous dire, bien sûr, mais la curiosité explique bien des choses, un regard à la fois bienveillant et légèrement moqueur, et puis aussi concernant cet attachement à la Tunisie, un certain mystère que je ne m'explique pas. J'ai longtemps séjourné en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en France, au Sénégal, et suis attaché à ces pays. Mais me voici au bord de mon canal, à la proue de La Goulette, ne cessant de trouver le BouKornine rassurant et harmonieux, d'être ravi des rencontres avec mes voisins, de philosopher avec le sourire sur les fins dernières en me promenant dans les ruines de Carthage... *Vers une Tunisie libre ? Vous parlez de la révolution du 14 janvier 2011. Comment l'avez-vous ressentie ? -Mes Chroniques de la Révolution ont été publiées chez mon éditeur tunisien, auquel je rends ici hommage, les Editions Arabesques, qui m'ont fait confiance. Le premier tome, E la nave va (Et vogue le navire) en juin 2011 et le second, Vers une Tunisie libre ? en Juin 2012. Le tome trois est en préparation et pourrait sortir fin 2013, après les élections. Je ne pouvais rester à l'écart de ce grand chambardement, qui me paraissait inéluctable, à un moment ou à un autre. J'ai ressenti beaucoup d'intérêt, d'espoirs et de craintes, à la fois. De fierté aussi pour tout ce peuple en ébullition, à la recherche de nouveaux équilibres. Mais la gageure était de trouver un ton juste, entre fiction et réalité, entre récits et interprétations, entre mes penchants vers la littérature et mes pseudo- connaissances en sciences politiques ! Le lecteur décidera ! *Quels sont vos projets d'avenir ? -J'attaque bientôt la dixième chronique du tome trois en préparation. Je prépare un nouveau recueil de nouvelles, en deux parties : La chose publique, et la chose intime. Mon deuxième roman, Mon beau cousin devrait sortir ce printemps et j'écris en ce moment Le Roman d'Augusta, inspiré par ma mère, qui, elle, m'a légué 13 volumes de Journal ! Je plains mes enfants qui hériteront de mes propres écrits ! Il se peut que le commun dénominateur de tous ces écrits puisse se comprendre à travers le prisme de ce que Saint Augustin, perché sur sa colline de Carthage écrivait: Dénude-toi et tu recevras... *Vous écrivez pour les jeunes et pour les adultes. C'est un choix ou une obligation ? -Ni l'un ni l'autre, je pense, mais c'est un plaisir. En premier lieu. Et une évidence. Certes j'ai contribué à créer, avec le poète Slaheddine Haddad la collection Arabesques Jeunesse, car j'aime à « raconter des histoires » aux enfants. Non seulement à mes propres petits-enfants, dont je suis gré à leurs parents de privilégier les livres à tout autre cadeau. Et je suis en train de devenir conteur, sous l'influence de ma « marraine », Mimi Barthélémy. Je sais combien familiariser les enfants avec la lecture dès le plus jeune âge contribuera à forger leurs personnalités plus tard. Car, en lisant, vous apprenez le goût du silence, et bien des choses sur la vie, les rêves, le rire, les pleurs, les autres enfants de par le monde. Mais surtout vous apprenez à être seul, et bien avec vous-mêmes. A réfléchir par vous-mêmes. A imaginer. Ici et ailleurs, j'ai l'impression que de plus en plus les jeunes sont des clones d'eux-mêmes, chacun à l'intérieur de leurs sociétés. Cela peut générer ennui et panurgisme aigu, et aller à l'encontre du charme et du mystère... Mais je m'arrête là, j'en ai déjà trop dit !