Personne parmi tous ceux qui tiennent à ce que la Tunisie dépasse ses difficultés et recouvre sa santé n'aimerait voir le Dialogue national échouer. Ils souhaitent tous que celui-ci aboutisse et que la feuille de route soit appliquée dans les plus brefs délais afin de pouvoir en finir avec cette période transitoire qui n'a que trop duré d'autant plus que le pays devient le théâtre de nombreux actes terroristes. Cependant, plusieurs indices laissent certains observateurs sceptiques quant à la réussite de cette entreprise. Reprise sur fond de ressentiment En effet, l'ambiance au sein de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) est loin d'être saine et n'est, donc, pas de nature à rassurer, puisque les voix commencent à s'élever pour s'accuser mutuellement de vouloir retarder les travaux des commissions et de saboter le processus constitutif. Ces incriminations réciproques font, en fait, écho à celles prononcées par la Troïka et l'opposition dont chacune exprime ses appréhensions de voir sa rivale refuser de concourir au succès du Dialogue national et œuvrer à en freiner l'avancement. Les prémisses de ce scénario prévisible se manifestent dès les premiers contacts au sein de la commission de tri où Meherzia Laâbidi est accusée, par les députés réfractaires qui viennent de réintégrer la Constituante, de s'être, délibérément, absentée pour empêcher le quorum et éviter, ainsi, que le vote pour l'élection du remplaçant de Mohamed Brahmi ait lieu, chose qu'elle nie en bloc accusant l'un de ses confrères sans le nommer d'être derrière ce qu'elle appelle diffamation dont l'auteur vise à porter atteinte à sa réputation. Hichem Hosni, de son côté, propose que le remplacement du martyr au sein de la dite commission devrait se faire conformément à des considérations d'ordre moral en désignant un député du Courant populaire, le parti de Brahmi, et qui est en l'occurrence Mourad Amdouni. Manifestement, on est au début de cette polémique opposant les deux camps et qui, vraisemblablement, prendrait une allure encore plus soutenue dans les jours qui viennent. Selon certains, il y a un sentiment de rancune qui anime certains députés de la majorité qui voudraient prendre leur revanche contre ceux qui étaient en retrait pour avoir réclamé la dissolution de l'ANC, leur raison d'être, c'est-à-dire la source où ils puisent leur fortune et leur prestige social. Une telle revendication est vue par eux comme étant un arrêt de mort prononcé par ces députés « irresponsables » qui ont failli les faire sortir de ce paradis terrestre auquel ils se sont habitués et auquel ils ne sont pas prêts à renoncer. L'ANC éclatée plus que jamais Les divisions au sein des coalitions de l'ANC sont aussi susceptibles d'animer davantage ce ressentiment : on voit mal comment l'Alliance démocratique va coordonner son action avec le nouveau groupe démocratique dont il ne fait plus partie et qui est remodelé ; il est dorénavant constitué de Nida Tounes, Al Massar, Al Jomhouri et Afek Tounes qui sont persuadés que, lors de cette expérience de trois mois passés en dehors de l'enceinte de la Constituante, ils se sont plus rapprochés les uns des autres et se sont éloignés de l'Alliance Démocratique avec laquelle ils n'ont plus les mêmes affinités qu'avant. D'ailleurs, cette approche est plausible, vu que, d'une part, les députés de cette dernière se sont ralliés, sur le tard, rappelons-le, à leurs confrères retirés de l'ANC, et que d'autre part, les dirigeants de ce parti, dont notamment Mohamed Hamdi et Mehdi Ben Gharbia, ont manifesté à maintes reprises leur sympathie envers Ennahdha. On en cite à titre d'exemple l'installation du premier à côté de Rached Ghannouchi, le jour du déclenchement du Dialogue national, et sa réintégration, le premier, de l'hémicycle de l'Assemblée. Et comme en politique, rien n'est fait au hasard surtout au niveau du protocole, on ne peut pas ne pas y voir des témoignages d'affection de sa part à l'égard du parti au pouvoir. Au-delà de cette division dans le groupe démocratique, d'autres partis champignons se plaignent de leur mise à l'écart dans les travaux de la commission du processus gouvernemental à cause d'une bipolarisation droite-gauche constituée de la Troïka et du Front de Salut National, et réclament leur droit d'y prendre part en tant que partis de centre, comme le prétend le président du Parti du Mouvement Républicain, alors qu'en réalité, ils sont carrément à droite. De telles chicaneries ne pourraient rassurer l'opinion publique sur le déroulement des travaux et leur couronnement, bien au contraire, elles alimentent encore plus nos réels soucis et nos soupçons déjà confirmés, depuis la signature de 113 députés de la majorité d'une pétition où ils expriment leur refus catégorique du Dialogue national s'insurgeant ainsi contre leurs partis respectifs. Et quand on ajoute à tout cela le scepticisme formulé par certains membres de la Troïka et ses compères, dont notamment, Ali Laârayedh, Hamadi Jebali, Mohamed Abbou et son épouse, et relatif à la réussite du processus dialogique, on voit mal comment on pourrait être optimiste et s'attendre à une issue de la crise. Lorsque ces responsables politiques et ces députés parlent d'une feuille de route irréalisable, est-il réaliste d'espérer sa mise en application ?