L'Assemblée Nationale Constituante (ANC) a adopté la loi sur la Justice transitionnelle. La Commission Vérité et Dignité a été mise sur pied. La loi prévoit la création de chambres spécialisées. A ce niveau des préoccupations concernant les droits des accusés persistent. Ainsi, l'Association Human Rights Watch (HRW), vient de publier un communiqué dans lequel elle invite les autorités tunisiennes à veiller à ce que les chambres spécialisées créées par la nouvelle loi sur la justice transitionnelle soient vraiment indépendantes et répondent aux normes internationales minimales de procès équitable. Les chambres spécialisées suivront les affaires de violations graves des droits humains, notamment celles commises sous la dictature de Ben Ali. L'organisation internationale de défense des droits humains, déplore le peu d'efforts fourni pour traduire en justice « les responsables de violations graves et flagrantes commises sous l'ancien président. Parmi ces exactions figurent des arrestations arbitraires, la détention au secret, la torture, des procès inéquitables et le traitement inhumain de prisonniers ». Après la Révolution seules quelques affaires d'atteintes aux droits humains ont été jugées. HRW déplore que « parmi les milliers de cas de torture signalés avant 2011, très peu ont été jugés ». Dans un des procès un ancien ministre de l'Intérieur et d'autres hauts responsables de forces de sécurité ont été condamnés à deux ans de prison pour « violence contre autrui ». Eric Golstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, a déclaré : « les chambres spécialisées peuvent contribuer de manière significative à la capacité de poursuivre les personnes responsables d'exactions atroces pendant l'ère Ben Ali, et de rendre justice aux victimes. Toutefois, ces chambres ne pourront accomplir ce rôle que si les règles du jeu garantissent qu'elles sont efficaces, indépendantes et justes ». L'association juge que l'ANC a franchi un grand pas en adoptant la loi sur la justice transitionnelle. Des chambres spécialisées au sein du système judiciaire seront créées pour juger les exactions commises entre juillet 1955 et décembre 2013, date de promulgation de la loi. Le ministère de la Justice des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle a installé un comité technique pour faire des propositions concernant le décret qui déterminera le fonctionnement de ces chambres spécialisées. Human Rights Watch estime que « le projet de décret d'application, qui sera présenté au gouvernement dans les prochaines semaines, devrait établir un processus de sélection des juges qui assure leur indépendance par rapport au pouvoir exécutif ». Ce décret devrait permettre la mise en place d'unités efficaces et compétentes. Des structures devraient protéger les victimes, les témoins et le personnel judiciaire, contre d'éventuelles intimidations. L'article 8 de la loi sur la justice transitionnelle donne naissance aux chambres spécialisées au sein des tribunaux de première instance dans les gouvernorats de la Tunisie disposant de cours d'appel. Il stipule que les juges nommés pour ces chambres ne doivent jamais avoir « pris part à des procès politiques » et doivent recevoir une formation en matière de justice transitionnelle. Les chambres spécialisées « statueront sur les affaires relatives aux violations graves des Droits de l'Homme [...], à savoir notamment : l'homicide volontaire, le viol et toute autre forme de violence sexuelle, la torture, la disparition forcée et la peine de mort sans la garantie d'un procès équitable ». La loi donne également compétence aux chambres sur certains types d'affaires que l'Instance Vérité et Dignité lui renverra. Il s'agit notamment des affaires de fraude électorale, de corruption financière, de détournement de fonds publics et de contrainte des personnes à l'exil politique. Par ailleurs, HRW reproche à l'article 8 d'avoir introduit des crimes qui n'étaient pas pénalisés lorsqu'ils ont été commis, comme la fraude électorale et la contrainte des personnes à l'exil. Ces « crimes », ne sont pénalisés ni par le Code pénal tunisien ni par le droit international. En plus la loi ouvre la voie à la possibilité de rejuger une deuxième fois quelqu'un pour la même accusation, en violation d'un principe fondamental des droits contre la « double peine ». HRW recommande que le décret d'application des chambres spécialisées inclue des « procédures de nomination des juges et des procureurs en conformité avec les exigences d'indépendance et d'impartialité ». Une lacune est épinglée dans le code pénal tunisien, à propos de la responsabilité des commandants et des supérieurs hiérarchiques. Le droit international considère les officiers supérieurs responsables des crimes commis par leurs subordonnés avec leur approbation explicite ou tacite. L'absence de ce genre de disposition dans la loi tunisienne explique les peines estimées légères pour les commandants de rang supérieur des troupes qui avaient tué des manifestants pendant la révolte.