Des représentants de la société civile ont exprimé, hier, leur crainte de voir les décideurs et les spécialistes sacrifier, encore une fois, les problèmes réels et les solutions à leur mesure, au profit des dogmes et des partis pris , à l'occasion du dialogue économique national, concernant plus spécialement la question du renouvellement du modèle de développement. Un large débat sur ce dossier brûlant a été organisé les 23 et 24 mai, au Campus universitaire à El Manar, dans le cadre du dialogue économique national, sous le titre « quelles visions de la société civile concernant les problématiques économiques actuelles ».Un atelier de travail a été consacré à la question de la recherche d'un modèle de développement alternatif à la place du modèle actuel. Les participants ont été d'avis qu'il n'y a pas de fatalité économique et sociale et que le tout reste une question de choix et de volonté, malgré les pressions et les énormes difficultés d'ordre économique et social. Solutions de rechange Ainsi, concernant le problème de la compensation et des subventions des produits de consommation de base et des produits énergétiques dont le coût a atteint un seuil « réellement insupportable » (5 milliards dinars), le spécialiste Abdejlil Bédoui qui a animé l'atelier, a estimé qu'au lieu de supprimer la compensation ou s'empêtrer dans les pièges inextricables du ciblage, il existe de nombreuses alternatives et solutions de rechange plus intelligentes et moins dramatiques, comme l'institution d'une taxe de résidence pour les étrangers résidents de façon prolongée en Tunisie (plus de 600 mille libyens, entre autres), d'une contribution touristique payable par les touristes, la taxation des pâtisseries, restaurants, cafés et autres établissements similaires qui utilisent les produits subventionnés tels le sucre et la farine, et en profitent pour gagner des millions de dinars, ou encore la réforme de la fiscalité dans le sens de l'élimination du régime forfaitaire qui profite à des centaines de milliers entre commerçants, artisans, professions libérales et autres corps de métiers. Il y a des réserves énormes de ressources financières qui sont négligées sciemment parce qu'on a peur de déranger certains milieux ou sous l'influence des dogmes qui empêchent de voir les choses sous d'autres angles, a-t-il dit. Un autre participant a plaidé pour la promotion de l'énergie solaire comme solution idoine aux problèmes énergétiques du pays, compte tenu de l'énorme potentiel que possède la Tunisie, pays très ensoleillé, dans ce domaine, notant que le déficit de la balance commerciale provient justement de l'importation des produits énergétiques et des produits agricoles, alors que la promotion de l'énergie solaire permet de satisfaire les besoins énergétiques et de développer les programmes de dessalement de l'eau de mer en vue de développer l'agriculture irriguée et améliorer ainsi le rendement des exploitations agricoles en Tunisie. Un libéralisme remodelé Selon le spécialiste Abdejlil Bédoui, les solutions de rechange peuvent être trouvées dans le cadre des orientations libérales, de sorte qu'il ne s'agit pas de rejeter le libéralisme, mais de le modeler et de l'adapter au contexte tunisien actuel, en recherchant partout le juste équilibre. En Tunisie, a-t-il fait remarquer, le désengagement de l'Etat , au nom des règles de l'économie du marché, n'a pas été relayé par le secteur privé, et on a recherché l'insertion internationale aux dépens de l'intégration à l'échelle nationale et maghrébine, c'est-à-dire l'intégration entre les gouvernorats et les régions, et l'intégration entre les pays maghrébins, au moment où tout le monde reconnait que le retard dans la construction maghrébine signifie 2 points de moins en terme de croissance. Le défaut d'intégration à l'échelle nationale a dû se traduire aussi par un manque à gagner important. Le problème du secteur informel et du commerce parallèle qui représentent 40% du PIB n'a pas été résolu, alors que ceux qui exercent dans ce secteur ne paient pas d'impôts. Et même au niveau du secteur formel et structuré, le secteur tertiaire s'est développé et s'est accru, aux dépens de l'industrie et de l'agriculture, de sorte qu'il y a eu une certaine tertiarisation de l'économie , contre une désindustrialisation marquée. Les participants ont souligné qu'à chaque problème, il y a un choix, mais il y a eu toujours un parti pris de classe qui a déterminé les choix faits depuis longtemps en Tunisie et ilne faut pas s'attendre à un grand changement.