Incontestablement, la dernière décennie fut prolifique pour Sonia Zlitni Fitouri à qui l'on doit huit importantes publications universitaires entre 2004 et 2014. Son dernier ouvrage vient de sortir aux Editions du Centre de Publication Universitaire (C.P.U.). Il s'agit d'une excellente étude comparative intitulée : « Pour un art de la relation, Processus narratif et reconstruction du sujet dans Le Livre de sang, de A. Khatibi, Ombre sultane, de A. Djebar et Les Mille et une années de la nostalgie, de R. Boujedra ». Au commencement du projet était un constat : dans leurs trois romans respectifs, les écrivains maghrébins choisis renvoient plus ou moins explicitement à Shéhérazade, figure désormais éternelle de la narratrice séductrice condamnée à raconter pour survivre, et abordent comme de concert la problématique complexe de la narration et de ses enjeux littéraires, culturels et même existentiels. Au début aussi, était la tentation chez Zlitni Fitouri de partir du concept de la « relation », cher à Edouard Glissant, poète, romancier et essayiste français, pour l'appliquer dans l'observation et l'étude des stratégies narratives déployées dans les trois romans sélectionnés. « Relation » au sens de narration mais également dans l'acception de lien, Glissant étant le père d'une réflexion originale sur l'identité et le métissage culturels. L'opacité dans la tentation du divers Et c'est ainsi que l'approche comparative entreprise sur la narration dans les trois romans cités plus haut parvient à démontrer qu'Abdelkébir Khatibi, Assia Djebar et Rachid Boujedra- qui appartiennent tous les trois à une double culture et à une double langue-, se dressent contre le durcissement des identités, bannissent le repli sur soi et favorisent l'abolition des frontières interculturelles. Par les techniques narratives qu'ils adoptent dans leurs récits respectifs, les trois écrivains maghrébins ne cherchent pas seulement à faire l'apologie du brassage des cultures et du métissage, mais surtout à imposer la relation-narration comme une aspiration à l'universel qui n'empêche pas l'affirmation de sa propre différence, et en termes plus poétiquement évocateurs, comme une forme d' « appel à l'opacité dans la tentation du divers ». Ce nouvel ouvrage de Sonia Zlitni Fitouri vise également à prouver à quel point le travail poétique entrepris par Khatibi, Djebar et Boujedra sur le langage fait ressortir le pouvoir de celui-ci de redéfinir le sujet et de le reconstruire. Le livre est richement documenté, l'approche est aboutie avec finesse et méthode, l'ensemble témoigne d'une grande maîtrise des auteurs, des œuvres, des notions et des concepts étudiés. C'est, en plus, écrit dans une langue savoureuse qui ne rebute pas le lecteur non initié en dépit de certains développements théoriques familiers aux connaisseurs. Bonne lecture ! Sonia Zlitni Fitouri est Maître de conférences au Département de français de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis (boulevard du 9avril). Elle enseigne la littérature française francophone et comparée et l'Histoire de l'Art. On lui doit de nombreuses publications dont La Réception du texte maghrébin ; Le Sacré et le profane dans les littératures de langue française ; Les métamorphoses du récit dans les œuvres de Rachid Boudjedra et de Claude Simon ; et L'Espace dans l'œuvre de Rachid Boudjedra, épuisement, débordement.