On ne crée pas un De Gaulle, un Bourguiba ou un Farhat Hached tous les dix ans ! Ce qu'on désigne par « hommes d'Etat » peut aller d'un visionnaire en avance sur ses compatriotes et son environnement social et culturel jusqu'au simple commis de l'Etat travailleur, sobre et efficace. Mais dans tous les états de figure, un minimum de courage politique et d'audace font la différence ! Le 18 juin 1940, alors que plus de la moitié de la France s'est effondrée, affaissée et acceptait le fait accompli de l'occupation nazie, ce général presque « ordinaire » éduqué dans le respect strict de la hiérarchie militaire et civile, a dit « non » et a pris le chemin de l'exil à Londres pour déclencher la résistance aux envahisseurs et mobiliser son peuple. Bourguiba a fait de même et même plus, dans la mesure où ses alliés n'étaient pas les puissants du monde libre à l'époque mais les déshérités de la terre eux-mêmes, soumis au joug colonial. Il fera et connaîtra toutes les prisons coloniales de Borj Le bœuf aux couffins du grand erg désertique au fort Saint Nicolas à Marseille en passant par l'île de la Galite et en risquant plusieurs fois la peine de mort. Farhat Hached quant à lui a donné sa vie pour la libération de la Patrie mais surtout pour créer un modèle social exemplaire où la liberté d'entreprendre est combinée avec la satisfaction des droits des travailleurs et leur dignité. Trois destins, trois précurseurs, trois pointures dans l'universalité où « l'homme d'Etat » répond « présent » aux appels de son peuple ! Evidemment les temps ont changé et « après De Gaulle... Alain Poher » comme disait Leon Zitrone, critique amer et figure ardente de la presse française des années 50-70, pour dire ce qu'il pense du président du Sénat français arrivé... « accidentellement »... à la présidence de la République de l'hexagone après le retrait du général De Gaulle ! Aujourd'hui, la « technocratie » a certes pris le relais, David Cameron après Tony Blair et Margaret Thatcher en Grande Bretagne, Barak Obama après les Bush père et fils et surtout Ronald Reagan et j'en passe. Même en Chine, le grand timonier Mao Tsé Toung et son dauphin Deng Siao Peng ont laissé la place aux nouveaux « chevaliers » de la Technocratie... Mais, ces nouveaux leaders ont fait leurs preuves dans leurs partis respectifs et ont été armés par la culture de ces partis à gouverner « technocrate », mais avec l'étoffe de « l'homme d'Etat » capable de prendre les décisions qui s'imposent dans les moments difficiles. Il reste entendu et évident que ces « décisions » peuvent ne pas convenir aux autres nations et même leur faire très mal, telle cette décision de M. Sarkozy et de l'Otan d'aller en guerre contre Kadhafi et son système, ou cette politique désastreuse de M. Obama en Syrie pour liquider le régime syrien de M. Bachar El Assad, pour changer quoi... la carte du Moyen-Orient et expérimenter « l'Islam politique » comme promoteur du nouvel ordre arabe et islamique. N'empêche, toutes ces décisions ont été traitées en « laboratoire » pour les stratèges américains, français et anglais dans l'intérêt propre de l'Amérique de la France et de l'Angleterre au détriment... tant pis... des intérêts vitaux des pays et des peuples « objets » de ces interventions agressives. Notre pays a toujours enfante de grands leaders avec l'étoffe et la pointure de « l'homme d'Etat », qu'il soit visionnaire et leader charismatique comme Bourguiba, Monji Slim, Taïeb M'hiri, Béhi Ladgham etc... au début de l'indépendance), ou grands commis de l'Etat sobres persévérants mais fermes vigoureux et imaginatifs comme Hédi Nouira, en pleine période de construction de l'Etat national moderne et de son économie émergente. La situation actuelle est marquée par l'absence d'une culture unitaire qui fait l'adhésion la plus large de notre peuple et de notre nation. Les modèles sociaux et culturels sont fracturés à l'extrême. L'élite dirigeante est décousue et fragmentée. La synthèse Bourguiba-Hached combinée à l'identité culturelle sadikienne et zeitounienne fait largement défaut comme support et socle idéologique de l'Etat post-révolution. Bien mieux elle a été agressée et mutilée pour laisser la voie à la nouvelle culture. De fait nous n'avons pas « un » Etat dans cette transition hypothétique, mais plusieurs « Etats » très peu homogènes, l'un à Carthage avec Dr. Moncef Marzouki, l'autre au Bardo, à l'ANC avec Dr. Mustapha Ben Jaâfar, et l'autre à la Kasbah avec M. Mehdi Jomaâ. Trois présidents avec des « Etats » roulant chacun pour soi, démembrés un peu à l'image des « Emirats » andalous d'Espagne à la veille de la chute de grenade en 1492. Ce système de séparation des pouvoirs aurait été parfait dans une démocratie civile et de paix sociale huilée et solide. Or, plus que jamais, la Tunisie a besoin « d'hommes d'Etat » solidaires et décidés à pérenniser le pays et l'Etat fragilisés par la Révolution. Mais, nos présidents sont tellement dépendants de la nouvelle culture de l'Islam politique qui se veut hégémonique, dominant et monopartisane de fait, au nom de ce qu'il considère comme le « message divin » et une lecture calcifiée et totalement sclérosée par rapport à l'évolution du monde et de l'humanité du 21ème siècle. L'épreuve du terrorisme sonne le glas de la Révolution, fait tâche d'huile et attaque les fondements de l'Etat tunisien moderne, établi par deux siècles de réformisme et de durs combats contre l'ignorance le sous développement et la pauvreté extrême. Nous avons plus que jamais besoin et à nouveau de profils adéquats de « l'homme d'Etat » capable de remettre le pays à flot après les désastres successifs des trois dernières années et de prendre les décisions dans la douleur. « L'homme d'Etat » n'a de dépendance que vis-à-vis de l'intérêt suprême de la nation et du pays et de leur survie. La mollesse, l'hésitation et le doute, ne sont pas les amis de l'Etat et de la Tunisie, en ce moment. Le pays est sous haute menace dans son présent et son devenir. Messieurs... prenez vos responsabilités ! Quand le feu attaque la maison, il est trop tard de chercher une nouvelle loi anti terroriste à l'ANC ! Si De Gaulle avait attendu une loi du Sénat français en 1940, le destin de la France aurait basculé autrement et si Bourguiba avait attendu une loi française anti-colonialeen 1952, la libération de la Tunisie aurait pris des décades après 1956 ! K.G