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« Après les changements géopolitiques survenus dans la région, l'Islam politique n'est plus capable de gouverner »
Publié dans Le Temps le 27 - 07 - 2014

Certains, dont notre invité, estiment que le double échec de l'Islam politique et du courant salafiste avec ses deux branches, réformiste et jihadiste est en passe de tourner, définitivement, la page du « Printemps arabe ». La question pressante que se posent plusieurs observateurs est de savoir si, après cette débâcle retentissante, la démocratie pourra se développer en tant que courant alternatif. La Tunisie sera-t-elle, enfin, capable de développer un Islam éclairé ? Mais ces challenges sont-ils possibles en l'absence d'un modèle de développement équitable qui profiterait à toutes les régions et à toutes les classes sociales afin de couper l'herbe sous les pieds du fondamentalisme religieux qui s'épanouit dans la misère des gens ? Bien qu'il soit rassurant quant à la défaite du terrorisme dans notre pays et dans la région du Maghreb, notre spécialiste reste sceptique en ce qui concerne l'issue des prochaines élections. Leur réussite sera tributaire du comportement des électeurs et des forces démocratiques, selon lui. Mais, il n'en reste pas là, il développe une analyse exhaustive qui embrasse toute la région arabe en vue de nous mieux présenter les enjeux dont elle fait l'objet dans le cadre de ce qu'on appelle le «Nouveau Moyen Orient » qui n'est que l'appellation déguisée d'un « Sice-Pico » II dont les agents d'exécution sont les Frères musulmans et les jihadistes toutes tendances confondues. L'avènement de « Daech » n'est pas un fait fortuit, isolé et séparé de ce processus international, il en est la parfaite illustration. Cette organisation est créée de toutes pièces par l'Occident pour suppléer à leurs devanciers, les Frères, qui n'ont pas réussi dans leur mission, lors du premier épisode de ce projet, celui des révolutions du « Printemps arabe », à cause des erreurs monumentales qu'ils ont commises et des limites dont ils ont fait preuve. « Daech » en constitue le deuxième épisode, une sorte de solution de rechange pour ce projet visant l'éparpillement de la région arabe, toujours suivant les affirmations de notre expert qui reste persuadé que ce plan subversif n'aboutira pas et qu'il sera voué à l'échec.
-Le Temps : certains estiment que la reconquête par le gouvernement des mosquées tombées entre les mains des « takfiristes » ne semble pas être vraiment fructueuse, car plusieurs d'entre elles sont récupérées par le mouvement Ennahdha. Quel est votre avis là-dessus?
-Alaya Allani : ce qui vient de se produire n'est pas étonnant du tout, puisque le parti islamiste est très présent au sein du ministère des affaires religieuses, cela montre d'une manière non équivoque que la mosquée est la pièce maîtresse des activités religieuses et politiques pour tous les partisans de l'islam politique. Personnellement, je m'inquiète de l'étendue de la wahhabisation des mosquées et du remplacement d'imams extrémistes par des sympathisants du mouvement Ennahdha. Ce parti est appelé à prendre une position claire sur la relation entre action politique et action religieuse avant les élections législatives et présidentielles prochaines afin que les électeurs puissent savoir le référentiel auquel ils vont se référer.
-Est-ce que les prochaines élections pourront constituer un gilet de sauvetage pour la Tunisie ?
-Elles ne pourront pas l'être dans les conditions nationales et régionales actuelles sauf si un ensemble de conditions sont réunies, dont, essentiellement, l'inscription massive des Tunisiens. L'ISIE et son président commettraient une grande erreur si le taux d'inscription aux élections s'avère en dessous de 60%. Et si jamais cela se produisait, Chafik Sarsar devrait présenter sa démission avant les élections, sinon il assumerait les retombées d'une catastrophe électorale que les partis antidémocratiques essayent de provoquer. L'autre condition pour la réussite des élections, c'est le vote des Tunisiens pour ceux qui n'ont pas couvert la propagation du terrorisme dans le pays. Par ailleurs, il est dans l'intérêt du mouvement Ennahdha, s'il tient à rester sur la scène politique, de se démarquer, publiquement, et de manière intégrale, du dogme des frères musulmans et de leur organisation, et de déclarer qu'elle n'adopte plus la référence islamique, vu qu'un tel comportement de sa part fait insérer la religion sacrée et immaculée dans le jeu politique sordide. S'il continue dans ce sens, l'amalgame dont il use entre la politique et la religion va engendrer des tragédies comme c'était le cas dans plusieurs pays tels que la Somalie, l'Egypte, la Libye, le Yémen... ; et la liste est encore longue.
-On a vu que le royaume de l'Islam politique s'est écroulé ailleurs, alors que les islamistes tunisiens ont été épargnés, jusque là, par les effets de ce raz de marée. Comment expliquez-vous cette exception ?
-Effectivement, parmi les pays du « Printemps arabe », la Tunisie semble faire l'exception. On continue à dire que les islamistes constituent une composante essentielle avec laquelle il faudra composer. La Tunisie n'a certes pas d'autres options que de continuer dans la voie du consensus, mais pas dans un consensus « miné » comme voudraient l'imposer quelques parties. Par exemple, certains lobbys dans le mouvement Ennahdha ont essayé de renvoyer la question de séparation ou de concomitance des élections législatives et présidentielles devant la Constituante, ce qui aurait compromis le consensus, si l'affaire était transmise devant cette instance. L'erreur du mouvement Ennahdha, aujourd'hui, c'est de continuer à se comporter comme un parti de la majorité, alors que tous les indices, les changements internes et externes et même les derniers sondages indiquent qu'il n'est pas en position de force. Cela impose au parti islamique d'en tirer les leçons. Et je pense que, bientôt, il va présenter, le plus de concessions possibles, car il réalise qu'il est au bord du gouffre. Le mouvement Ennahdha ne pense plus qu'à survivre et à continuer à exister, vu que l'environnement, qui est autour de lui, lui est hostile. Il ne faut pas oublier que les Tunisiens sont touchés par le terrorisme qui est la résultante de sa gouvernance. Toutes ces données obligent Ennahdha à faire tout son possible afin d'éviter le scénario égyptien.
-Alors, comment vous envisagez l'avenir politique du mouvement Ennahdha ?
-Il est dans l'intérêt des islamistes tunisiens de ne pas participer au pouvoir suite aux prochaines élections et de se contenter du parlement, car la période qui nous en sépare est de courte durée et le mouvement n'aura pas assez de temps pour revoir sa stratégie et ses programmes. La participation des islamistes au pouvoir aura des conséquences néfastes sur le pays et le privera, par exemple, des investissements des pays du Golfe, excepté, bien sûr, le Qatar, leur protecteur. Ces islamistes devraient quitter le pouvoir et rester dans l'opposition pendant vingt ans, comme le leur a conseillé Abdelfattah Mourou, le leader au mouvement Ennahdha, afin de procéder à des révisions fondamentales au niveau de leurs thèses et leurs stratégies. Cela est de nature à permettre aux Tunisiens de mettre fin au terrorisme et à réanimer l'économie, car il n'y aurait nul espoir dans la lutte contre ce fléau, si les islamistes revenaient au pouvoir totalement ou partiellement. Cette période de vingt ans, au parlement et non au gouvernement, est nécessaire pour le mouvement Ennahdha afin qu'il puisse fournir une autre génération imbue de démocratie et de modernisme. En deux décennies, la Tunisie aura ainsi instauré l'Etat de la citoyenneté, empêché toute instrumentalisation de la religion dans la politique et construit un Etat ayant un seul islam qui soit modéré et moderniste.
-Peut-on voir des lueurs d'espoir en Libye après le grand revers essuyé par les islamistes aux élections parlementaires ?
-La décision du haut tribunal libyen de ne pas légitimer le gouvernement de Maâtiig le 9 juin 2014 a tout résumé. Celui-ci a saisi le message et il s'est conformé à cette décision bien qu'il soit d'obédience islamiste. Le plus dangereux dans la gouvernance des islamistes en Libye, c'est l'enracinement du terrorisme localement et régionalement. Ansar Al Charia, le groupe islamiste jihadiste, et les cellules d'Al Qaïda ont gaspillé les compétences et les richesses du peuple libyen. Les réserves en devises dans ce pays, estimées à plus de 120 milliards de dollars au début de la révolution, s'épuisent à un rythme soutenu sans compter toutes les tentatives réitérées de construire des institutions démocratiques stables qui ont été toutes vouées à l'échec. La Libye est en train de se débarrasser des Frères musulmans au pouvoir et des courants jihadistes, car l'ébullition populaire interne et les changements régionaux ne sont plus en leur faveur. Ce processus était déclenché par les élections parlementaires du 25 juin 2014, où ils ont remporté seulement 30 sièges sur les 200 que compte la nouvelle chambre des représentants du peuple. Les islamistes du parti de la Justice et de la construction, le groupe combattant ou les courants radicaux n'occuperont plus une grande place sur l'échiquier politique, puisqu'ils sont, dorénavant, minoritaires.
-Est-ce qu'on peut dire que les pays des révolutions du « Printemps arabe » sont en passe de se débarrasser du terrorisme ?
-Je peux dire que l'Egypte et la Libye sont sur le point de se débarrasser du danger terroriste. En effet, si dans la première, l'étau autour des frères musulmans se resserre de jour en jour, dans cette dernière, les islamistes, toutes tendances confondues, sont battus par la mouvance civile, comme je viens de le rappeler. Par contre, le sort de la Tunisie, dans ce registre, sera tributaire des résultats des élections. Le seul garant pour la faire sortir de la crise surtout économique, c'est l'obtention par les partis démocratiques de la majorité des suffrages pour mettre les islamistes en minorité. Cependant, ce qui s'est passé au Mont Châambi, à Sidi Bouzid, Jendouba et ailleurs, laisse penser que le taux d'abstention lors des prochaines élections serait élevé.
-Les Frères musulmans d'Egypte ont-ils des chances de revenir sur la scène publique et politique?
-Peut-être bien à la fin du mandat du président Sissi... La plaie est encore béante entre les islamistes et ce dernier et les changements régionaux ne sont pas à l'avantage des Frères musulmans. Le dialogue pourrait bien être réinstallé entre les deux parties si jamais les islamistes laissaient tomber leur appellation, leurs programmes et quelques uns de leurs dirigeants les plus durs. Les islamistes resteront, néanmoins, dans le paysage politique en Egypte et il est difficile de les déraciner, car les courants idéologiques ne meurent pas facilement. Les Frères musulmans dans ce pays ont encore une assise sociale, même si elle n'est pas capable d'imposer un nouvel état de fait. Ce que vivent les Frères musulmans dans tous les pays arabes constitue la plus grave crise que connaît ce courant depuis sa naissance. Elle a commencé par l'échec qu'ils ont essuyé au niveau de la gouvernance et elle a pris de l'ampleur avec leur recours à la violence, chose qui a achevé de les discréditer et de détruire leur infrastructure. Et si le courant de l'islam politique a échoué dans son expérience au pouvoir dans tous les pays du « Printemps arabe », c'était parce qu'il s'est avéré qu'il n'avait pas de programme convainquant, ni de vision sociale basée sur l'ouverture et le modernisme, ni de stratégie religieuse leur permettant de modérer le courant de l'islam radical. En d'autres termes, l'expérience des islamistes, dans l'ensemble des pays du « Printemps arabe », n'était pas concluante, car leur projet n'était pas sorti de l'idée de Califat, couverte par une démocratie superficielle. Il en découle que le courant de l'islam politique est en phase de crise structurelle et non pas conjoncturelle, ce qui impose une profonde révision de sa tactique et de son stratégie, un travail qui prendrait des années.
-Et quel sera l'avenir de l'islam politique dans le monde arabe, selon vous ?
-Son avenir reste sombre car, ce courant n'arrive plus à convaincre, après sa gouvernance désastreuse sur le double plan économique et sécuritaire. L'avenir sera pour le courant de l'islam réformiste apparu à la fin du 19ème siècle avec Mohamed Abdou, Jameleddine Al Afghani, Kheireddine Pacha, Abdelaziz Thâalbi, Abdelkader Aljazairi et Allal al Fassi. Ce courant a guidé les mouvements de libération nationale, mais s'est, ensuite, replié sur lui-même et n'a pas renouvelé ses thèses après l'indépendance. Le résultat en était que l'Islam politique a comblé le vide pour arriver, ultérieurement, au pouvoir dans l'absence d'une réelle structure démocratique moderniste dans les pays arabes. Le retour du réformisme islamique, connu pour son ouverture sur l'autre, ses thèses modérées ainsi que pour son refus de l'interférence de l'espace religieux dans l'espace politique, serait l'alternative au courant de l'islam politique, car il est capable de remplir le vide actuel. Le courant salafiste reviendra aussi dans l'avenir à son rôle initial, qu'est la prédication, car sa politisation était une erreur fatale qui a engendré de graves problèmes pour le monde arabe.
-Les mêmes régions du pays continuent à être le théâtre d'opérations terroristes. A quoi vous imputez cela ?
-Il ne peut en être autrement tans qu'on ne s'est pas attelé à étudier le dossier des associations de prêche et de bienfaisance qui gravitent autour des mosquées et qui, sous le couvert de leurs activités dites caritatives, soutiennent le jihad. Le ministère de l'intérieur a fait état début juin d'un rapport dans lequel sont recensées 157 associations suspectées de pratiques de financement illégal et de soutien au terrorisme. Il est fort probable qu'il y ait certaines associations qui nécessitent un audit profond de leurs comptes et leurs programmes d'action. La pauvreté, qui a marqué Sidi Bouzid, Kasserine, Jendouba et toutes les autres régions déshéritées, depuis des décades, et qui s'est aggravée après la Révolution, en a fait un espace privilégié pour le blanchiment de l'argent du terrorisme par le biais de ces associations qui pullulent comme des champignons. Il est donc urgent de revoir le tissu associatif dans la région. En outre, Ansar Chariaâ trouve dans certaines régions une pépinière sociale pour ses activités. En fait, la forte présence de courant jihadiste dans ces régions marginalisées confirme l'échec du modèle de développement du gouvernement des Islamistes et l'absence d'une stratégie religieuse modérée. Cette marginalisation s'est poursuivie avec l'actuel gouvernement qui s'est retrouvé avec un lourd héritage d'erreurs au niveau de la politique de développement régional. De plus, la loi de finances complémentaire n'a pas consacré de sommes consistantes et importantes pour améliorer la situation sociale et économique dans ces régions. Il est donc normal d'y voir le phénomène terroriste continuer à se développer. La force du courant jihadiste dans ces régions met en évidence l'échec de l'Islam politique à rationaliser l'islam radical à côté de son échec dans le domaine économique. A cela s'ajoute l'absence d'une volonté politique de mettre les mosquées à l'abri de toute instrumentalisation partisane, ce qui aggrave davantage la situation. Les dernières actions d'Ansar Chariaâ à Sidi Bouzid, qui nous rappellent le scénario de l'attaque de la maison du ministre de l'intérieur à la cité Ezzouhour, sont liées à ce qui se passe en Libye et en Irak, où Daech est devenu un symbole de résistance et de révolution, pour les partisans d'Ansar Chariâa.
-On assiste, en Tunisie, à des actes d'allégeance de la part de jihadistes d'Al Qaeda en faveur de « Daech ». Comment expliquez-vous ce phénomène ?
-L'allégeance des cellules libyennes d'Al-Qaïda à l'émir de Daech et l'appel d'Abou Yadh à l'unification des courants jihadistes dans un grand congrès au mois de ramadan, révèlent la volonté d'Ansar Chariaâ de jouer un rôle déterminant. Ce courant jihadiste en Tunisie et en Libye sait très bien que ses perspectives d'action sont devenues limitées surtout après la perte, par le courant de l'Islam politique et des courants salafistes, de leurs positions privilégiées, dans les dernières élections parlementaires du 25 juin en Libye, comme je l'ai expliqué. Après avoir été majoritaires, ils sont devenus minoritaires, ce qui veut dire que la place des membres d'Ansar Chariaâ dans le gouvernement et le parlement actuels est devenue insignifiante. En outre, les sérieuses menaces de Haftar d'exclure et liquider les groupes jihadistes, posent de sérieux problèmes aux éléments jihadistes tunisiens résidant en Libye ou se trouvant sur place, en Tunisie, sous la forme de cellules dormantes.
-Existe-t-il des moyens susceptibles d'empêcher l'instauration du califat de « Daech »?
-Il y en a plusieurs qui sont de nature à nous faire sortir de cette crise et qui se résument aux points suivants. Il faut, tout d'abord, trouver une solution à la crise syrienne, car laisser les zonez libérées entre les mains de « Daech », « Nosra » et autres laisse la blessure ouverte et participe à l'émiettement du pouvoir central au profit des princes de la guerre. Ensuite, il est indispensable de transformer, progressivement, la nature du pouvoir en Iraq, basé sur le quota partisan et sectaire, en un pouvoir qui soit bâti sur la citoyenneté, la garante de toutes les religions et les sectes sans que l'Etat ne soit le porte-parole d'aucune d'entre elles. En troisième lieu, il faudrait établir, au plus vite, un modèle de développement, susceptible de créer une sorte d'équilibre au niveau du développement économique et social entre les régions chiites, sunnites et kurdes, vu qu'une bonne partie des protestations de Iraquiens d'Al Moussel et d'Al Anbar sont animées par des considérations économiques et sociales. Enfin, il est urgent de tenir un congrès regroupant les pays du Maghreb et du Moyen Orient, dans le cadre de ce qu'on appelle MENA, en vue de débattre des moyens capables de contenir le phénomène du terrorisme, qui s'est répandu après le « Printemps arabe » de manière inédite, et d'aboutir à des formules pratiques pour lutter contre le fondamentalisme, et ce par le biais d'une coordination au niveau des services de renseignement entre ces pays, et d'une recherche des manières adéquates de traiter les origines sociales, économiques et idéologiques de ce terrorisme.
-Les luttes au Moyen Orient pourraient-elles impacter la situation en Afrique du Nord et en Tunisie ?
-Grâce aux riches expériences de ses élites et de sa société civile, la Tunisie est capable de présenter quelques conceptions et mécanismes susceptibles d'arracher nos sociétés arabes aux affres de l'extrémisme. Donc, je ne crois pas que le califat de « Daech » puisse être transposé en Afrique du Nord, car la réalité objective dans cette région ne le permet pas, et même la Libye, sur laquelle comptent beaucoup les jihadistes, va se débarrasser du danger de ces courants terroristes, en raison du fait qu'il y a de nouveaux arrangements qui obligeront les jihadistes de l'Afrique du Nord soit à revenir au Sahel africain, soit à entrer dans une phase de clandestinité totale.
-Est-ce que la région arabe risque de connaître ce qu'on appelle un « Nouveau Sice-Pico » ?
-Certaines études ont parlé de « Sice-Pico » I et de « Sice-Pico » II pour la zone du Moyen Orient. Le premier, comme tout le monde sait, avait lieu en 1921, quand on a retranché la Brigade d'Iskenderun pour l'annexer à la Turquie. Quant au second, il consiste en un projet lié au « Printemps arabe » avec la montée au pouvoir des frères musulmans en Tunisie, en Egypte et en Libye et la possibilité de répandre leur pouvoir à d'autres pays qui sont le Maroc, l'Algérie, la Jordanie, la Syrie et l'Iraq, grâce à la coordination avec la Turquie et le Qatar. Il s'agit d'un projet regroupant aussi bien le Maghreb que le Moyen Orient. Mais, il a échoué, comme l'affirment les auteurs de ces études, avec la chute de Morsi, qui, s'il était resté au pouvoir, le spectre de la guerre civile aurait atteint plusieurs pays arabes. Et ce qui a permis d'éteindre ce projet, c'est le soutien apporté au nouveau pouvoir en Egypte par les pays du Golfe, en particulier l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et le Bahreïn. On en déduit, d'après ceux qui ont réalisé ces études, qu'au lendemain du « Printemps arabe », le courant de l'Islam politique visait au-delà de l'accession au pouvoir, son but non déclaré, c'était de réaliser des changements géostratégiques profonds dans la région.
-Alors, vous partagez la thèse qui dit que l'invasion israélienne de la bande de Gaza s'insère dans ce projet de « Nouveau Sice-Pico» ?
-La guerre contre Gaza a révélé plusieurs vérités et ses répercussions se feront sentir dans toute la région. La leçon de Gaza a mis à nu les slogans fallacieux des symboles des courants de l'Islam politique et salafiste comme elle nous a dessillé les yeux sur la faiblesse flagrante des courants démocratiques qui n'on pas pu dépasser leur égoïsme et leurs contradictions. Ce que vivent les Palestiniens est une partie d'un grand projet visant à exterminer tout un peuple qui est demeuré, malgré tout, un rempart face aux différentes conspirations étrangères et même arabes qui ont été tissées contre lui. Et ce que connaissent la Syrie et l'Irak s'insère dans ce qu'on appelle le projet du « Nouveau Moyen Orient » dont les aspects et les manières de concrétisation ont changé plus d'une fois. La première fois où ce projet était remis sur le tapis et restructuré, c'était, comme je viens de le démontrer, après les révolutions du « Printemps arabe » où il s'est avéré que les Frères musulmans en Tunisie, en Egypte et en Libye sont parmi ses bases essentielles. L'islam politique a montré que, pour durer au pouvoir, il était prêt à changer toutes ses positions. Les grands perdants de cette attitude, ce sont, de toute évidence, les peuples des pays du « Printemps arabe » ainsi que la cause palestinienne. Ces derniers se sont fait ravir leurs révolutions et leurs rêves au travail, en la dignité et en la démocratie, après la montée au pouvoir des islamistes au pouvoir. Depuis, ces peuples souffrent du terrorisme et de la récession économique. En Tunisie et si ce n'était la sortie d'Ennahdha du pouvoir, sous la pression politique et populaire, le pays aurait connu le scénario somalien ou libyen. D'ailleurs, c'est ce qu'a dit le général Rachid Ammar lorsqu'il a parlé d'une éventuelle « somalisation » de la Tunisie. L'autre perdant dans la reconstitution de la carte du « Nouveau Moyen Orient », c'est, comme je l'ai mentionné plus haut, la cause palestinienne qui ne figure plus parmi les priorités des nouveaux gouverneurs islamistes. Cette attitude hostile est aggravée par les erreurs commises par Hamas qui n'a pas su s'éloigner des luttes et tiraillements qui ont atteint leur paroxysme en Egypte avant la chute de Morsi. La seconde fois où on a procédé à la reconstitution de la carte de la région c'était avec l'annonce de « Daech » de l'instauration du nouveau califat. Les partisans de cette organisation voient que la lutte contre les « hypocrites », c'est-à-dire les régimes arabes, devance celle qui est à mener contre les « infidèles », sans qu'ils ne prononcent ne serait-ce qu'un seul mot à propos du crime abominable à l'encontre de Gaza.
-Quel rôle pourrait jouer « Daech », dans le cadre de la reconstitution de la carte du « Nouveau Moyen Orient », suite à sa déclaration d'installer un califat?
-Cette déclaration était, depuis le départ, entourée de suspicions et l'invasion des territoires palestiniens par Israël est venue les confirmer. La carte du « Nouveau Moyen Orient » n'est pas encore achevée, elle continue à faire l'objet de révisions après ce qui vient de se passer en Iraq. Toutefois, je reste persuadé que ni « Daech », ni Al Qaeda et consorts ne sont capables de faire aboutir ce projet, car ce sont les créatures des forces étrangères dont ils appliquent l'agenda à la lettre, en ce sens qu'ils sont complètement déconnectés de la réalité de leurs pays et dépourvus de toute volonté indépendante. Partant, ils ne sont pas qualifiés pour prodiguer des leçons en patriotisme aux Arabes et à l'Islam modéré. L'évolution de la guerre contre la Syrie et l'Iraq va faire émerger de nouveaux pôles comme ceux d'Arabie Saoudite et d'Iran, à travers lesquels de nouveaux compromis et consensus, qui ne sont pas actuellement achevés, vont voir le jour.
-L'opposition des Frères musulmans au projet de « Daech » de constituer un califat ne devrait-elle pas être appréhendée comme étant une révision de leur part, vu qu'ils ont renoncé à leur projet initial consistant à en instaurer un ?
-Ce n'est qu'une manœuvre de plus de leur part, puisque Youssef Karadaoui, la devanture des frères musulmans, a sorti un communiqué où il a nié le droit de « Daech » en un califat, alors qu'en contrepartie il a affirmé qu'il s'impatientait à l'instaurer ou à le ranimer. Il fait comme si le califat était l'une des bases de la religion, ce qui est faux, parce que cette institution appartient à l'Islam historique dont les expériences devraient faire l'objet d'une évaluation pour en étudier toutes les lacunes qui ont mené à la situation actuelle. La position de Karadaoui confirme le fait que ce courant islamique, dans l'ensemble des pays arabes, tient au principe de califat, mais déclare que les conditions ne sont pas encore réunies pour l'installer. Cela veut dire que la démocratie, pour Karadaoui, ses partisans et ses alliés, est une simple passerelle dont ils se servent en vue de réaliser leur projet de califat à la place de l'Etat civil, l'Etat de droit et des institutions qui serait, alors, rangé dans les tiroirs de l'histoire. Pour vous en persuader davantage, rappelez-vous le fameux « lapsus » de Hamadi Jebali, au lendemain de la victoire de son parti aux élections du 23 octobre 2011, quand il a dit qu'il pressentait «l'entrée dans l'ère du sixième califat ».


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