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Le pays a besoin d'une gouvernance consensuelle
Interview de Rached Ghannouchi, président du Mouvement Ennahdha
Publié dans La Presse de Tunisie le 05 - 09 - 2014

« Majoritaires ou minoritaires, nous embrasserons la Tunisie dans ses contradictions et sa diversité »
Au coin de la rue, à la terrasse d'un café, sur la route ou encore dans le train, le citoyen ordinaire, tout comme l'observateur averti, s'interrogent, non sans inquiétude, sur l'avenir de leur pays : Ennahdha a-t-il changé trois ans après les élections de 2011 ? Si certains associent le changement constaté dans le discours du parti islamiste à un recul en trompe-l'œil, d'autres le rattachent à une maturité politique qui a, pour maintes raisons, fait ses preuves.
Pour Rached Ghannouchi, président du Mouvement, Ennahdha a fini par descendre du monde fabuleux des idéaux à celui des terriens. Une descente synonyme, selon lui, d'un « réalisme politique engagé ». Lequel réalisme politique place en premier lieu « l'intérêt supérieur de la patrie », tient compte des contradictions et de la diversité du tissu social et culturel du pays et prend en considération les mutations régionales et internationales que connaît le monde. Interview.
Privilégiez-vous encore le choix d'un président consensuel, après l'objection formulée par certains de vos rivaux politiques ?
L'idée est toujours de mise, dans la mesure où la Tunisie en a vraiment besoin. Sauf que le consensus ne doit pas émaner uniquement d'une simple majorité (50+1). Il faut plutôt que les principaux acteurs et les grands courants politiques du pays bénissent ce choix, fort utile pour un pays secoué par les tiraillements en tous genres. Mais ce choix ne peut en aucun cas exclure l'opération électorale, qui aura le dernier mot. Car le futur chef d'Etat doit nécessairement passer par les urnes. Cela étant, les Tunisiens ont rompu avec l'Etat dictatorial pour instaurer un nouvel Etat démocratique.
A ce stade-là, je reprends l'idée — et ce n'est point un secret à divulguer — que le pays a besoin d'une gouvernance consensuelle, que ce soit au niveau de la présidence de la République, du Parlement ou encore au niveau du gouvernement.
En cas de résistance face à ce choix, auriez-vous un candidat à présenter, qu'il soit d'Ennahdha, d'un autre parti ou encore une personnalité indépendante ?
Jusqu'à présent, nous n'avons pas une orientation claire à ce propos. Nous poursuivons encore le dialogue et les négociations avec le reste des partis politiques. Notre objectif ultime étant la lutte contre toute tendance hégémonique pour ce qui est de la gestion des institutions de l'Etat, même si les urnes le permettent. Car le pays a encore besoin de larges coalitions politiques. Et 2013, l'année de tous les dangers d'ailleurs, demeure un témoignage vivant du besoin de la Tunisie d'un gouvernement consensuel. Pas plus tard que l'année dernière, le bilan aurait pu être lourdement tragique. Heureusement, le dialogue national a rectifié le tir et sauvé le pays avant qu'il ne soit trop tard.
Au sein de votre parti, la composition des listes électorales a donné lieu à des remous, quoi que ces derniers aient été moins flagrants que ceux constatés dans les rangs de vos rivaux. Qu'en dites-vous ?
La démocratie est avant tout une question d'initiation et d'éducation : un apprentissage perpétuel, bien évidemment. Il est donc tout à fait ordinaire de voir foisonner au sein du même parti, et de tous les partis en général, divers points de vue, des tractations et des approches différentes. Mais, contrairement à la dictature, il est de l'essence même de la démocratie de gérer les différences.
Il incombe au leadership de chaque formation politique, à partir de là, d'instaurer et d'ancrer les bonnes pratiques démocratiques. C'est notre ligne directrice à Ennahdha. Plus, la Tunisie compte pratiquement près de 200 partis politiques. Ce qui est peu ordinaire en temps normal. Cela devient néanmoins compréhensible, compte tenu d'un passage brusque de la dictature à la démocratie. Tous les prétendants se bousculant aux portes du pouvoir seront heureusement passés au crible des urnes. Ce qui fait que l'écume des jours finira par voler en éclats pour céder la place aux projets respectueux des vrais fondamentaux de la société tunisienne.
Qu'en est-il de l'ambiance au sein de votre parti ?
Au sein d'Ennahdha, je l'admets, les remous et les désaccords sont beaucoup moins violents. Car il s'agit là d'un parti qui a acquis une certaine maturité. D'autant plus que c'est, à la base, un parti savamment structuré, où les aînés ont préparé le terrain pour les nouveaux arrivants.
Cela étant, le parti est régi par des règles morales et organisationnelles qui sont perpétuées d'une génération à l'autre. Ajoutons que le parcours initiatique de certains symboles du parti (à travers de longues années d'emprisonnement, de militantisme et de résistance) ne peut que jeter les bases de véritables traditions démocratiques. C'est pourquoi les tiraillements sont beaucoup moins criards chez nous. On a une culture du dialogue, de l'échange, de la liberté d'expression, mais également du respect de toute décision institutionnelle. Le tout permet d'apaiser les tensions et les divergences, sans pour autant les exclure définitivement.
Pour le reste des partis, il ne faut pas perdre de vue que la plupart d'entre eux viennent de débarquer dans le champ politique. En un mot, ils sont encore en examen. Et leur réussite dépendra de leur aptitude à gérer les différences démocratiquement.
Je dirais, du reste, que les Tunisiens ne manqueront pas d'intelligence pour séparer le bon grain de l'ivraie. Seuls ceux qui disposent de vrais projets bénéfiques pour le pays et la nation franchiront le cap, à mon sens.
Vos rivaux politiques vous reprochent, pourtant, une certaine marginalisation des jeunes qui peinent encore à faire entendre leur voix au sein du parti...
C'est de la pure surenchère politique. Nous avons prouvé que nous sommes le premier parti politique à avoir respecté la loi électorale, en inscrivant au moins un jeune dans les quatre premiers membres de chaque liste électorale. Nous avons rigoureusement respecté cette règle, quoiqu'il y ait d'éventuelles tentatives isolées de dérapage qui sont, du reste, bridées dès qu'elles sont découvertes.
De surcroît, nous avons joué un grand rôle dans l'approbation de ce principe électoral pour en faire une loi, étant la plus grande coalition au sein de l'Assemblée nationale constituante (40%, ndlr). D'où notre plus grand engagement à l'appliquer. Certaines listes électorales sont plutôt chapeautées par des jeunes.
Puis, nous préservons l'immuable conviction que les jeunes ont été le fer de lance et le carburant constant de la révolution de la dignité (la Révolution du 14 janvier ayant contribué au renversement du régime de Ben Ali, Ndlr). D'où leur droit de jouer un rôle de premier plan dans l'avenir politique, économique et social du pays.
A l'approche des prochains rendez-vous électoraux, comment êtes-vous accueillis dans vos bastions ?
La majorité demeure assez confiante. Aujourd'hui, l'image du parti est nettement meilleure qu'en 2013. Le pouvoir use et dégrade, tout le monde en convient, d'ailleurs. Mais, en quittant le pouvoir pour se libérer de ses chaînes, Ennahdha a pu redorer son blason auprès de ses militants. L'on procède aujourd'hui à une révision de nos méthodes, de nos relations ainsi qu'à la correction de nos fautes. J'estime que l'on est sur la bonne voie.
Peut-on parler de changements fondamentaux à Ennahdha, trois ans après les élections de 2011 ?
Le parti a beaucoup changé. Il a beaucoup appris de son expérience du pouvoir et prône désormais le réalisme politique engagé. Je dis bien le réalisme politique engagé, soucieux de l'héritage socioculturel du pays et de ses acquis à la fois modernistes et respectueux de notre identité arabo-musulmane.
En d'autres termes, Ennahdha de 2014 n'est plus celui de 2011 ou de 2012. Il est de ce fait descendu du monde des idéaux à celui des terriens, notamment en puisant davantage dans son environnement socioculturel, dans son acception la plus large. Le passage au pouvoir nous a permis une plus grande proximité par rapport à la réalité locale, régionale et internationale. D'où l'élargissement de notre champ d'investigation et de perception en général. C'est que l'on compose désormais avec la réalité et l'actualité locales et internationales globalement, avec plus d'ouverture et davantage de profondeur.
Mais, vos concurrents et certains observateurs avancent que les changements au niveau de votre approche idéologique et stratégique tarderont à venir, en l'absence de changements structurels au sein du parti, ils laissent entendre que le changement dont vous avez parlé n'est qu'un recul en trompe-l'œil et une tactique de l'heure...
En tant que parti politique, nous gérons nos affaires plus démocratiquement que plusieurs autres partis. D'ailleurs, il n y a de place ni aux dissidences ni aux dissensions chez nous. Ennahdha est un parti ouvert et non une prison, ceux qui viennent et ceux qui partent le font librement, sans pression aucune. Durant notre expérience du pouvoir, nous n'avons emprisonné personne et la liberté d'expression et d'opinion était garantie. Donc, objectivement parlant, personne ne peut nous taxer de dictature. Certes, nous avons commis des fautes lors de notre passage au pouvoir. Mais nous avons le mérite d'avoir géré les affaires de la commune démocratiquement et conformément aux règles de la bienséance.
Quelle démocratie, quel modèle de développement et quel projet de société le Mouvement Ennahdha cherche-t-il à instaurer ? Telles sont les questions restées sans réponse chez bien des Tunisiens, voulez-vous les éclairer ?
Avant la prise du pouvoir en 2011, on nous taxait de tyrannie et de fermeture, nous identifiant ainsi à des adeptes de l'opinion unique. Nos rivaux essayaient de véhiculer l'idée qu'une fois installés au pouvoir, nous changerions radicalement le mode de vie des Tunisiens. Or, il s'est trouvé qu'au fil des trois ans passés au pouvoir, les gens continuaient à vivre librement. Les mosquées, les restaurants et les plages grouillaient de monde. C'est une fois de plus la preuve de l'ouverture d'Ennahdha sur son environnement local et international.
Il est donc clair comme l'eau de roche que nous plaidons pour un Islam modéré qui prône la tolérance et le respect de la différence et des spécificités socioculturelles et religieuses de l'autre.
Après tant d'années de militantisme, nous cultivons encore la conviction que, quelle que soit notre foi politique ou religieuse, l'amour de la nation est capable de nous unir étroitement. Notamment l'amour de frères égaux dans le sacrifice, qui ont donné leur vie pour que la patrie soit délivrée. Nous ne l'oublierons jamais.
Certains vous reprochent un certain alignement sur les Frères musulmans d'Egypte, adeptes de la solution unique et immuable...
Nous sommes un parti islamiste tunisien qui exerce conformément à la loi tunisienne. Irrémédiablement attachés aux idéaux de la culture et de la civilisation tunisiennes, nous composons avec l'international en partant du local. Certes, nous tenons compte des évolutions du monde extérieur, mais nous gardons notre propre approche s'agissant de la vie politique et de la coopération régionale et internationale. Laquelle approche a pour socle : l'entraide, l'ouverture et le rejet de toute tendance extrémiste.
Tout au plus, nous sommes un acteur influent en matière d'islam politique modéré. Je dirais même que nous sommes les initiateurs d'un modèle suivi par les autres.
En Egypte également, il faut reconnaître que les Frères mènent une politique modérée. Ils ont de tout temps rejeté la violence et continuent à réagir au revers qu'ils ont subi sagement et civiquement. Certains leur reprochent même un excès de tolérance, dont ils ont payé un lourd tribut.
Comment expliquez-vous donc les revers qu'a récemment subis l'Islam politique en Egypte et, avant, en Algérie et en Palestine, entre autres ?
En parlant d'Islam politique, les pêcheurs en eau trouble et les faiseurs de surenchère politique évoquent Daech (organisation armée jihadiste qui a proclamé le 29 juin 2014 le rétablissement du califat sur les territoires irakiens et syriens qu'elle contrôle, ndlr). Pourquoi ne parlent-ils pas de la Turquie, de l'Indonésie et de la Malaisie ?
Je viens de prendre part à la cérémonie d'installation du nouveau président turc Recep Tayyip Erdogan et j'ai pu voir dans quelle ambiance a eu lieu le passage du pouvoir. En toute sérénité et civiquement. Même leur passage d'un régime parlementaire à un régime présidentiel, en vertu duquel le nouveau président a été élu au suffrage universel, s'était fait dans le respect de la loi. Voilà un modèle reluisant de l'Islam politique. D'ailleurs, en passant d'un régime parlementaire à un régime présidentiel, ils ont imité l'exemple tunisien.
Cette anecdote vous sera plus édifiante. Lors de ma dernière visite en Algérie, le président Bouteflika a indiqué qu'une partie égyptienne lui a demandé d'inscrire «Hems» (mouvement islamiste algérien) sur la liste des organisations terroristes. Il leur a rétorqué : «Comment pourrais-je le faire alors qu'il est partie prenante du gouvernement»?
Ce faisant, le fait de mettre tous les islamistes dans le même panier relève d'une propagande politique voulue et d'objectifs malicieux. Il faut juger chaque mouvement en fonction de sa conduite, de sa réalité et de son environnement. Personne ne peut classer le Hamas (Organisation de résistance islamique palestinienne, ndlr) parmi les organisations terroristes, alors qu'elle conduit Gaza (Palestine), en fait.
Lors de votre récente visite en Algérie, quels étaient les principaux thèmes abordés avec le président Bouteflika ?
La Tunisie et l'Algérie ont entretenu de tout temps des relations séculaires. Et notre visite s'inscrit dans cette logique. Cela dit, les opportunités de partenariat et de coopération sont réelles et tangibles. Nous devons traduire la proximité géographique et les relations historiques liant les deux pays en une politique commune, basée sur un vrai partenariat économique et stratégique.
Le potentiel algérien est énorme, compte tenu des richesses naturelles dont regorge ce pays. Il nous revient d'assurer les services et les moyens logistiques nécessaires pour une vraie complémentarité stratégique.
Nous avons également abordé la question libyenne réitérant notre refus de toute intervention étrangère dans ce pays frère et ami. Une position partagée par nos frères algériens, qui plaident également pour le dialogue et les négociations afin de mettre un terme à la crise libyenne.
S'agissant de la question libyenne, les Tunisiens sont préoccupés par le danger que représentent les groupes terroristes retranchés dans ce pays, dont l'«organisation terroriste Ansar Echaria». En tant que parti politique, quelle démarche préconiseriez-vous pour une résolution définitive de la crise ?
Il est du devoir des Tunisiens de pressentir le danger et d'être préoccupés par le fait d'offrir un refuge par une partie tierce aux bandes terroristes en Libye. A notre niveau, nous exerçons une certaine pression à travers les mouvements et les organisations modérés en Libye pour empêcher toute aide logistique et matérielle au profit de ces gens extrémistes. Arguant les règles du bon voisinage, nous maintenons la pression sur nos interlocuteurs libyens pour lutter contre toute formation terroriste, telle que Ansar Echaria.
Dans la même optique, nous essayons de contribuer à la normalisation de la situation dans ce pays voisin, les incitant à privilégier la voie du dialogue et des négociations. Surtout que le pays a les moyens de garantir à toute sa population le bien-être et le confort. Ajoutons qu'ils ont de l'estime pour l'expérience tunisienne. Ils n'ont pas besoin de s'entretuer pour vivre. Ils n'ont qu'à écouter la voix de la raison pour retrouver la voie du dialogue et mener des conditions aisées et une vie paisible.
Sur le plan international, Daech (l'Etat islamique) ne cesse de ternir l'image d'un Islam modéré et d'une religion tolérante. Comment expliquez-vous ce phénomène des temps qui courent ?
Daech est l'expression d'une barbarie qui a atteint son paroxysme. Il y a quelques minutes, j'ai félicité Khaled Mechaâl (un des dirigeants de l'organisation palestinienne Hamas, ndlr), dans une conversation téléphonique, pour avoir sauvé l'image de l'Islam assombrie par cette organisation. Car Gaza a véhiculé une image reluisante d'un Islam tolérant, modéré, respectueux de la nature et du genre humains.
Les exactions et les atrocités de Daech sont en réalité une réponse barbare à la barbarie de certains régimes arabes. L'exemple syrien en est un, en fait. Le régime de Bachar El Assad procède à des exactions collectives, en recourant à des armes de destruction massive. Ces agissements ne diffèrent pas trop de ceux de Daech, finalement.
L'existence d'une telle organisation extrémiste traduit un cas maladif et un vide spirituel qui rongent la Oumma (communauté des musulmans, ndlr). Cette organisation n'aurait pas existé s'il y avait eu des institutions et des structures solides capables d'encadrer les jeunes et d'aiguiller savamment leur boussole.
En Tunisie, il y a eu une bonne initiative que nous avons bénie, mais malheureusement elle est restée sans suite. Il s'agit d'un Congrès national pour la lutte contre le terrorisme.
Espérons bien la reprise et la concrétisation de cette idée sur le terrain, surtout que l'hémorragie de nos jeunes vers ces organisations extrémistes continue.
Au fil d'un discours que vous avez récemment prononcé en Turquie, vous avez affirmé que le Califat islamique est un concept faussement perçu et interprété. Voulez-vous clarifier cette position ?
Le dernier califat islamique a rendu l'âme en 1924, si ma mémoire est bonne. Il s'agit du califat ottoman. Au fil de l'histoire, cette institution a connu des péripéties et des changements multiples. Tantôt, elle avait raison, tantôt, elle avait tort, commettant certains dérapages. Le rêve de renouer avec une époque révolue hante encore certains esprits, qui ont faussement compris le concept et la philosophie de cette politique. Ils essayent d'y parvenir par la guerre.
Or, la prise de décisions relevant du sort et du destin de la Oumma incombe à ses savants et à ses représentants légitimes et non à des groupuscules qui se comportent arbitrairement et irrationnellement.
En réalité, le monde musulman dispose d'une sorte de califat : l'Organisation de la coopération islamique. C'est la seule institution habilitée à représenter les musulmans et à décider des modes de coopération possible entre les pays et les peuples concernés.
Ce concept a été initié par le juriste constitutionnel égyptien Abderrazek Essanhouri (1895-1971). Il l'a présenté dans le cadre d'une thèse qu'il a soutenue dans une université française, fixant les règles qui devaient régir cette organisation.
Autrement, tout agissement consistant à prendre d'assaut des villes entières pour ensuite proclamer un calife sur elles est synonyme d'un saut dans le vide.


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