L'association Kolna Tounes organise, avec le soutien de la fondation Friedrich Naumann, les « 2èmes Rencontres des Jeunes Maghrébins pour les Libertés » du 4 au 7 septembre 2014 à Tunis. Après une première édition organisée en mars 2013 qui a tenté d'évaluer les transitions démocratiques dans les pays du printemps arabes, cette deuxième édition organisée à l'approche des élections législatives et présidentielle en Tunisie, et au lendemain d'élections organisées dans l'ensemble des pays du Maghreb et dans d'autres pays, touchés par la vague du « Printemps arabe » se veut une lecture d'un premier cap franchi dans ces phases de transition.L'épreuve du pouvoir qu'a expérimentée l'Islam Politique dans bon nombre de pays et les modifications de la carte géopolitique régionale interpellent les observateurs et les acteurs de la vie publique. Un questionnement incontournable fera l'objet d'une table ronde à laquelle le public intéressé par le sujet est invité. Organisée en deux temps, elle mettra face à face des analystes politiques et des responsables de partis politiques candidats aux prochaines élections. Emna Menif Présidente de l'Association Kolna Tounes analyse dans cet entretien le paysage politique tunisien à la veille des élections et l'avenir de l'Islam politique en Tunisie Le Temps : Comment jugez-vous le paysage politique tunisien à la veille des élections ? Emna Menif : Déconstruit, cacophonique, terriblement émietté et sans consistance conceptuelle ni programmatique du point de vue de l'électeur. Les partis politiques ont réussi à instaurer un discours de déconstruction, dans bien des cas nécessaire et pertinent. A l'opposé, ils n'ont pas su mettre en place les arguments et les outils de construction pour donner du sens à leur action et à leurs ambitions, en fait l'essence même de leur existence. Quoi qu'il en soit, et quand bien même ils seraient porteurs d'une vision et lucides sur leurs missions, cela reste de l'ordre de l'intention, de ce « qu'ils pensent », mais n'est pas audible. L'expression « programmatique » du discours politique dans une approche pédagogique, dans la durée, pour être assimilée par le récepteur, a manqué et manquera encore. De plus, le message a été « dilué » dans le sacro-saint mot d'ordre du « consensus », si bien que les partis ne se sont pas affirmés comme des entités de gouvernement. Or, la vocation première d'un parti, c'est d'aspirer à une majorité qui lui permette d'appliquer son projet de gouvernement, si tant est qu'il en ait; la coalition est une option de nécessité et non pas un choix fondateur. Mais dans ce choix de nécessité, les clivages se sont estompés, sacrifiant les fondements doctrinaux, sans être en mesure d'innover tant dans l'offre doctrinale, nécessaire à la construction de tout projet politique, que dans les options de « Développement » et de relance dans tous les secteurs. Ce qui brouille le décryptage de la carte politique. En même temps, les partis politiques de la mouvance progressiste ne se sont pas affirmés comme d'authentiques identités politiques doctrinales et programmatiques qui justifient le « nombre » et la « diversité », si bien que le débat s'est transformé en bataille de « chapelles » et d'individus. La faillite des organisations politiques est à l'origine de deux phénomènes ; l'un vérifié, la pléthore de listes indépendantes ; l'autre qui risque de se vérifier (ce que je ne souhaite en aucun cas) l'abstention lors des élections et la désaffection de la vie publique. Finalement, trois ans après les élections de 2011, et presque jour pour jour, l'histoire est condamnée à se rééditer : chacun vante l'union et court son propre lièvre, et chacun compte sur son strapontin au pouvoir sans s'affirmer avec un authentique cap pour le pays, si ce n'est le passéisme des deux bords et des effets d'annonce qui demandent à être vérifiées. L'islam politique à l'épreuve du Pouvoir. Quel avenir? Au-delà du pouvoir, l'islam politique en Tunisie se nourrit de l'incapacité, jusqu'à ce jour, des forces progressistes de lui opposer une identité doctrinale et politique, concrète et innovante dont le Pays, sa Jeunesse, ses catégories sociales défavorisées ou marginalisées ont besoin pour se remettre à espérer, à rêver, à croire en un possible lendemain différent pour être meilleur, d'une part ; et de leur absence, d'autre part, du pays profond, de l'arrière-pays, de cette autre Tunisie qui ne les connaît pas beaucoup et qu'ils ne connaissent pas toujours. Le pouvoir a démontré, sur un autre plan, l'incompétence de cette mouvance à trouver et à proposer des solutions à un pays réellement, en majorité, en souffrance. Cependant, poussée d'une part vers la sortie par la pression de la rue et des différents intervenants, mais aussi consciente des conséquences de l'exercice du pouvoir sur son avenir politique, la mouvance représentant l'islam politique réussi à faire oublier le lourd bilan de sa gouvernance chaotique. Aujourd'hui, elle cherche à noyer ses insuffisances dans le « projet consensuel » tout en se ménageant suffisamment d'espace pour continuer à impacter en profondeur la société et les générations futures. Cela est certainement de bonne guerre, il s'agit pour elle d'un combat de conviction, qu'elle mène avec stratégie et tactique. Il s'agit pour tous ceux qui croient en un autre avenir pour ce Pays et pour ce Peuple d'en être conscients, et de mener leur combat de conviction, aussi. Quel impact sur les élections à venir ? Je ne suis pas de ceux qui ont la prétention d'affirmer la victoire d'un camp ou de l'autre. Je pense que les résultats des prochaines élections seront hypothétiques et dépendront de plusieurs paramètres. Cependant et clairement, en l'état, et vu le choix du mode de scrutin, nous nous acheminons vers l'absence de majorité stable au parlement, le risque de coalitions « négociées » et encore une fois contre-nature et improductives, et le risque d'une instabilité gouvernementale qui risque de nuire au pays.