Depuis un bon moment les tailleurs, les forgerons, les menuisiers, les quincailliers, et tous les artisans qui tiennent des boutiques dans des alvéoles entourant le marché ont tiré rideau. L'agitation du début de l'après midi est retombée comme un soufflet au fromage. A une demi- heure de l'appel du muezzin, quelques jeunes, un peu excités et rigolards, jouent à faire vrombrir leurs mobylettes, montent en amazone, tournent autour du vieux souk comme sur un circuit de Formule I, sans casques bien entendu. Il faut dire que ces engins, parfaitement bricolés peuvent atteindre de grandes vitesses, passent parfaitement au-dessus des dunes. Extrêmement pratiques pour le braconnage de nuit, paraît-il...... La grande place du ce marché de Douz, maintenant entièrement pavée, est totalement vide à cette heure. Fini ce fourmillement, cette activité débordante, ces agglutinements devant certaines échoppes de bottiers, ces spécialistes des balghas brodées main, où se jouent à même le sol, d'homériques parties de kharbga, cet équivalent du jeu de go, que beaucoup prennent pour un jeu de simplets, méprisé par les citadins. Envolés ces groupes de touristes qu'on débarque à coup de 4x4, et tous les rabatteurs à l'affût des arrivages. Seuls les amoncellements de roses de sable semblent être des vigiles immobiles devant les boutiques, où quelques robes pendouillent encore sur les devantures. Les poteries restent à leurs places sur les étals. Ici on ne « rentre » pas tout...preuve s'il en est de la sécurité qui règne dans cet espace. Les énormes eucalyptus et les tamaris, plus que centenaires, qui occupent les coins de la place semblent être les inamovibles gardiens du temple. Les tables des cafés qui se font face, en diagonale, sont prêtes à accueillir, tout à l'heure, les clients. A la porte Est, un minuscule marché, et on emballe vite, le temps presse, il ne reste que quelques minutes avant l'instant attendu. Debout dans un angle de la porte, une jeune femme propose une citronnade maison, qu'elle vend dans des bouteilles d'eau minérale d'un demi- litre, avec une poignée de glaçons, le tout dans un sachet de plastique. Le prix est à la portée de tous, et elle a pratiquement liquidé son stock de la journée. Pas loin, les toutes nouvelles Degla, en petits régimes, encore jaunâtres et pas tout à fait mûres, n'attirent pratiquement personne,ici. A travers les gens, démarrage en trombe d'un excité qui crève les tympans de tous. « C'est Béchir », dit un jeune homme admiratif. Les gens achètent des sachets de poudre de jus de fruits, qu'on dilue dans de l'eau. Point d'étalage de laitage débordant, de fromages, ni toutes ces ricottas qu'on voit ailleurs. A peine quelques salaisons et des olives noires. A la hâte, on ramasse vite, les cageots de fruits, pommes, poires, raisins, très peu de bananes, on les ressortira le lendemain, c'est sûr : les prix sont plutôt prohibitifs, si on se réfère à la qualité proposée. Très peu de restaurants ouverts pour les passagers, et les menus proposés sont limités. Et les pétarades des mobylettes s'éloignent, au premier appel venu du minaret proche. Le silence d'un coup. Pas un seul touriste dans le coin. Bizarre, ce phénomène. Où sont tous ceux qui cherchent « l'authentique » ?? Dans les hôtels, autour des piscines. Un taxi, bien chargé, fonce. Des groupes compacts d'étourneaux regagnent leurs nids, en vols serrés. Quelques attardés se hâtent vers la mosquée pour la prière. Pas loin du rond-point dit des Gazelles, un marchand de fruits secs, assis devant sa boutique, mange des dattes et boit du lait. La longue route rectiligne qui me ramène à l'hôtel, et qui traverse une partie de l'oasis est pratiquement déserte. Les régimes de dattes, bien enveloppés d'un film protecteur, pendent bien bas, alourdis par la sève sucrée. Je croise un chamelier, qui rentre au pas de ses bêtes, la journée terminée. Nos regards se croisent rapidement et puis juste un échange d'un signe fraternel de la main.