La veille de l'Aïd le 4 octobre 2014, Mohamed Ali Senoussi, un jeune homme originaire de Mellassine, a rendu l'âme à l'hôpital où il a été transféré du centre de détention où ils se trouvait depuis son arrestation par la police le 24 septembre 2014. Les organisations de défense des droits de l'Homme dont notamment l'organisation tunisienne de lutte contre la torture, suspectent la torture qui aurait été la cause de la mort du jeune homme en question. La version officielle des services de police bat en brèche cette thèse, tant eu égard aux circonstances des faits qu'à la personnalité du jeune homme qui était un pickpocket et un consommateur de drogue invétéré, et qui serait condamné pour ces faits à des peines de prison. Cette version a été d'ailleurs corroborée par le rapport d'autopsie selon lequel le jeune homme, aurait succombé à une infection sanguine qui aurait atteint le cœur et le cerveau. Quant aux circonstances de son arrestation, tel qu'il ressort du rapport de police, elles seraient dues à une plainte de la part de sa mère qui aurait été violentée par son fils. Ce fut pourquoi, la police alla le cueillir chez lui, sur ordre du procureur de la République, près le tribunal de première instance de Tunis 2 (Sijoumi) pour le mettre en détention à la prison de Mornaguia Des versions contradictoires Selon la version de son avocate, le jeune homme avait passé 6 jours en garde à vue. La police avait voulu, procédure oblige, le placer en détention provisoire dans un centre pénitentiaire. Mais les responsables de ce centre estimèrent qu'il était urgent de le transférer à l'hôpital, étant donné l'état pitoyable dans lequel il se trouvait, a précisé encore Me Radhia Nasraoui. Mis sous soins intensifs, le jeune homme, ne put résister et rendit l'âme deux jours après. Par ailleurs, elle a confié au temps, qu'elle était encore en attente du rapport d'autopsie, et qu'un médecin aurait établi un certificat préalable, en vertu duquel, il n'y a pas de traces de violence à part une blessure à la cheville, précisa-t-elle. En tant que présidente de l'Organisation tunisienne de la lutte contre la torture (OTLT) elle s'est indignée contre cette pratique qui persiste toujours dans les centres de détention, que ce soit dans les locaux de police ou les centres pénitentiaires. Déjà le 23 septembre 2014, tel que l'affirme la militante des droits de l'Homme précitée, un autre détenu, Ali Louati était également passé de vie à trépas sous la torture, ajoutant que la police avait réfuté la thèse de la torture, alors que de son côté, le procureur avait ordonné l'ouverture d'une enquête. Le dilemme L'interrogatoire de police, qui est d'habitude sur instruction du procureur de la République, se déroule généralement dans une ambiance sinon tendue, du moins sévère lorsque l'intéressé fait l'objet de lourdes accusations avec de très fortes présomptions à sa charge. C'est le cas dans tous les pays de droit garantissant les libertés tout comme la sécurité des citoyens en vue de la préservation de l'intérêt général. Certes la police se trouve dans un dilemme. L'enquêteur cherche par tous les moyens à connaître la vérité, surtout en parvenant à obtenir un aveu de la part du prévenu. Or il est rare que la police puisse obtenir un aveu de manière spontanée. C'est la raison pour laquelle, l'usage de certains moyens coercitifs est dans le but de connaître la vérité. Toutefois la police va des fois très loin, en passant de la sévérité à la violence verbale et physique, surtout lorsqu'il s'agit d'un accusé qui persiste dans ses dénégations. Et c'est là où le bât blesse, car la torture est quelles que soient les circonstances de l'affaire est interdite par la loi et condamnée par toutes les instances et les législations internationales. Réminiscences Cette pratique, devenue chez certains agents de police ou de centres pénitentiaires comme un réflexe, a-t-elle cessé depuis la Révolution, surtout que toute forme de violence, physique ou psychique est désormais condamnée en vertu de la nouvelle Constitution? La réponse à cette question est aussi ardue que nuancée, car, selon la plupart des observateurs, certains policiers ou agents de centres pénitentiaires n'arrivent pas encore à se débarrasser de ce «réflexe». Certes on est toujours dans une période exceptionnelle, dans laquelle la police doit faire preuve de vigilance. Mais pas au point d'user de moyens que toutes les organisations de défense des droits de l'Homme, condamnent de manière systématique. Or les cas de tortures qui aboutissent à la mort de la victime au cours de l'interrogatoire de police ou durant la garde à vue, se répètent pour se ressembler, sur le fond, même si les circonstances diffèrent, en fonction de la version des faits étayée par la police, ou par les familles et les avocats des victimes. C'est ce que persiste à déclarer Me Radhi Nasraoui, laquelle a déploré que l'organisation de lutte contre la torture dont elle est la présidente, continue, déclara-t-elle, à recevoir des plaintes de victimes de torture qui sont reçues par les hôpitaux dans des états pitoyables, et dont certains finissent à la morgue. Elle ajouta qu'un autre détenu pour vente illicite d'alcool, et victime également de torture par la police, pour avoir subi un passage à tabac, a été sauvé de justesse, par l'équipe médicale de l'hôpital où il été placé sous soins intensifs. Il avait failli passer de vie à trépas. Concernant le jeune homme en question, Me Radhia Nasraoui qui a rendu visite à sa famille, affirme avoir bel et bien avoir constaté des traces de violence sur son corps. Une enquête a été cependant ordonnée par le procureur de la République à ce propos. Quelles limites ? Radhia Nasraoui, a appelé à planifier des actions en dénonciation de la torture qui reste une pratique courante après la Révolution. En fait il faudrait que toutes les organisations de défense des droits de l'homme ainsi que les pouvoirs publics, dont la police et la Justice, conjuguent les efforts dans le but d'éradiquer des pratiques qui rappellent les régimes où les droits et les libertés étaient violées à tout bout de champ. Entre le laxisme et la torture il y a quand même une limite qu'il faut respecter, en ayant le sens de la mesure, et que, aussi bien l'enquêteur que le juge, doivent avoir. Il faut également, dans le cadre de la Justice transitionnelle, œuvrer à élaborer des lois dans le but de réformer tout le système pénal qui garantirait les droits de toutes les parties au procès. Cela éviterait de toujours taxer la police de tortionnaires, car après tout, ils aident à instaurer la sécurité et la paix dans le cadre d'une application stricte de la loi, laquelle est censée garantir les droits de toutes les parties sans aucune complaisance ni influence partisane ou partiale. La police et la Justice sont les deux piliers sans lesquels le respect des droits serait un vain mot. Elles contribuent toutes les deux, comme l'affirme Michel Foucault « à la réhabilitation des esprits et non au redressement des corps ».